Ouverture de la Matinale de l’Économie

Matinale de l’Économie
« La crise et la gestion des migrations en Europe »
Jeudi 19 mai 2016

Cher Monsieur le directeur, cher Pascal Le MERRER,

Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues,

Mesdames et Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale à tous les visiteurs et intervenants, toujours très nombreux à l’occasion de cette Matinale de l’Économie, organisée avec brio par les Journées de l’Économie depuis quatre ans. Vous nous avez invité à nous pencher sur « la crise et la gestion des migrations », sujet d’actualité bien sûr, mais aussi sujet d’histoire pour l’Union Européenne et la France qui ont su montrer au cours du XXème siècle que les flux migratoires peuvent être une chance.

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Parlons d’abord de l’urgence européenne ! Elle n’est ni budgétaire, ni économique. Elle est humaniste. La guerre au Moyen-Orient a plongé des millions de personnes dans le malheur et dans la mort. Elle a, par ricochet, plongé l’Europe dans une crise politique profonde. Les chiffres donnent l’ampleur du défi humaniste à relever pour l’Europe.

Plus d’un million de migrants sont entrés en Europe en 2015. 300 000 réfugiés sont aujourd’hui bloqués en Grèce en raison des murs édifiés par les États des Balkans. 3 500 personnes sont mortes en Méditerranée en 2015, plus de 700 depuis le début de 2016. Les pays limitrophes de la Syrie explosent : 2,5 millions de réfugiés en Turquie, 1,1 million au Liban.

À la barbarie, les Pères fondateurs ont opposé un rêve : celui d’une Europe de paix et d’humanité, d’une Europe unie et ouverte, d’une Europe dont les différences entre nations feraient la prospérité.

Créer des « solidarités de fait » grâce à l’économie et au commerce pour construire l’Europe, nous enjoignait Robert Schuman dans son discours fondateur du 9 mai 1950. Nous l’avons fait en réunissant les peuples et nous avons avancé ensemble autour des valeurs de démocratie, de liberté, et d’humanisme.

Dans cette Europe de paix, dans cette Europe ouverte, voilà que l’on dresse maintenant barrières et frontières. Les murs porteurs de la maison commune s’étiolent et les barricades s’érigent. Les égoïsmes prennent le pas sur le puissant désir d’unité que portaient nos Pères fondateurs. « Dès qu’il s’agit de ne pas aider quelqu’un, on entend tout. À commencer par le silence » écrit Daniel Pennac en évoquant la crise des réfugiés.

L’Europe risque d’oublier l’essentiel – ses valeurs : celles de solidarité, de générosité et d’humanisme qui lui ont précisément permis de se relever belle et puissante des cendres de la guerre. Elle leur préfère le rejet et l’exclusion de ceux qui viennent d’ailleurs, de ceux qui quittent l’horreur et bravent la mort pour rejoindre son territoire.

On entend dire que, parce que la France est l’un des pays développés les plus généreux en termes de protection sociale, les immigrés viendraient profiter de notre système. Soyons honnêtes, les immigrés ne sont pas des profiteurs. Leurs routes se dirigent d’ailleurs davantage vers l’Allemagne ou le Royaume-Uni, pays moins généreux que le nôtre. Leur poids sur les comptes sociaux est faible voire légèrement positif du fait de l’apport régulier d’individus actifs.

En tout état de cause, jamais le risque n’a été aussi élevé que l’Europe renie ses valeurs, elle, dont l’identité est de toutes les nationalités, de toutes les origines, de toutes les couleurs, de toutes les religions. Elle, dont la grandeur s’est construite par la rencontre des peuples.

Cette crise nous rappelle un devoir pour tout un chacun de prendre ses responsabilités. Face à l’afflux de réfugiés qui fuient la guerre, les exactions, la misère, plus que jamais nous devons abattre les murs et bâtir les ponts qui redonneront corps à l’idée européenne, une idée plus grande que nous-mêmes qui doit faire naître un grand élan de solidarité et d’unité.

Face à cette catastrophe humanitaire, notre Union doit rester une terre d’asile. La pression migratoire doit être répartie équitablement entre tous les pays européens. Le plan de relocalisation adopté par le Conseil à l’automne dernier doit être pleinement et effectivement appliqué.

Bien plus, il nous faut créer de nouvelles modalités d’organisation. Il nous faut penser le droit d’asile à l’échelle européenne car il n’est plus soutenable que les États membres se cachent derrière le règlement de Dublin II pour refuser l’accueil de réfugiés. À cet effet, la mise en place d’une agence européenne centralisant les demandes d’asile est indispensable.

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Mesdames, Messieurs,

À certains moments de l’histoire, il faut savoir prendre les devants de l’opinion quand nos valeurs sont en cause. C’est l’honneur de la politique. C’est ce qui distingue le suivisme de l’avant-gardisme. C’est notre responsabilité. Je vous parle de responsabilité, du devoir que nous avons, chercheurs, syndicats, responsables politiques, penseurs, d’expliquer, de faire comprendre, de faire œuvre de pédagogie. Cette responsabilité nous la prenons, je la prends, aujourd’hui. Alors expliquons.

Aujourd’hui, la crise des réfugiés nourrit les populismes. Le terrorisme tout comme la crise économique font peser des menaces considérables sur l’Union européenne et son marché unique. Il suffit d’évoquer le référendum sur le « Brexit » pour mesurer combien le projet européen et toutes les libertés fondamentales sont menacés. L’immigration en provenance des pays de l’Est [Pologne, Bulgarie, Roumanie], sans parler des migrants de Calais, sont les otages de ce référendum. Plus encore, forte est la tentation d’en faire les boucs-émissaires.

Suspension des aides sociales pour les non-britanniques, remise en cause du principe cardinal de libre circulation des personnes et des travailleurs, le gouvernement britannique défie notre modèle de gestion migratoire unique au monde dans lequel des milliers d’hommes et de femmes circulent et s’établissent librement au sein des pays membres.

J’ai souvenir du débat vif en Grande-Bretagne sur la levée de restrictions de travail pour la Roumanie et la Bulgarie, en 2013. On entendait dire beaucoup de choses. Que les immigrés se précipitent en Europe pour prendre le travail des britanniques, qu’ils accourent pour profiter de leur système de protection sociale, qu’ils contribuent à la baisse des salaires.

Et j’ai souvenir de cette étude de l’University College London de 2013 qui avait tordu le cou à ces mensonges. Le surplus était de 37 % en 2009, contre un déficit de 20 % pour les Britanniques. Sur 2,2 millions d’immigrés venus d’Europe de l’Est depuis 2004, seuls 12 850 touchaient une allocation chômage en 2012.

Les étrangers sont, proportionnellement, moitié moins nombreux que les Britanniques parmi les bénéficiaires de logements sociaux. En bref, il était démontré que les immigrés contribuaient plus à la richesse nationale du pays, notamment par leurs impôts, qu’ils ne lui coûtent en prestations sociales. Alors, bien plus que des sondages d’opinion, nous avons des études sérieuses sur le « coût des non-migrations » susceptibles d’éclairer avec raison les débats.

L’apport économique des migrations est un fait économique pour la Grande-Bretagne, la France et plus globalement pour une Europe vieillissante. L’apport économique des migrations est un fait historique, en particulier pour le creuset français.

Au fil des décennies, les nationalités se sont succédées, se sont mélangées sur notre territoire : les Arméniens en 1915, les Espagnols, Italiens, Polonais des années 1930, les Portugais des années 1950, les Algériens, les Tunisiens, les Marocains, les Africains dans les années 1960, les Vietnamiens dans les années 1980. Ils ont participé à la construction de notre pays.

Alors, on nous dit que les Trente glorieuses sont une époque en rien comparable à la crise qui nous affecte aujourd’hui, que ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd’hui…

On entend dire encore que les immigrés prennent le travail et baissent le salaire des Français. Il est illusoire de mettre face à face le nombre d’immigrés et le nombre de chômeurs en pensant qu’ils sont substituables. La France a des besoins en main d’œuvre pour des emplois qui ne sont pas comblés parce que, trop pénibles et trop peu rémunérés. L’économie française a également des besoins de main d’œuvre très qualifiée et pour lesquels nos entreprises rencontrent des difficultés de recrutement. Cette complémentarité entre immigrés et nationaux explique que l’emploi d’étrangers n’a pas d’effet, voire un effet légèrement positif sur l’emploi des Français.

De même, la présence des immigrés sur le marché du travail n’a aucun effet global sur les salaires des natifs. L’apport de l’immigration pourrait même être plus productif si la France attirait des individus plus qualifiés donc moins susceptibles d’être au chômage et avec des salaires plus élevés.

L’accueil des immigrés est une opportunité, une chance, en même temps qu’un devoir. L’immigration a un impact quasi immédiat sur la richesse nationale puisqu’elle entraîne une croissance de la demande, donc du PIB par habitant. Au final, les immigrés ont un impact positif sur la croissance. C’est cela qu’il faut rappeler. L’Allemagne l’a bien compris, elle qui accueille en masse les réfugiés et a pris, depuis quinze ans, des mesures pour favoriser l’intégration des étrangers. La Chancelière allemande est isolée dans son courage. Suivons cet élan tout aussi généreux que rationnel.

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Mesdames et Messieurs, j’en termine.

Il est urgent de mener un débat éclairé. Cette exigence est impérieuse pour faire triompher la raison sur les passions destructrices, dans un contexte où nous ne traversons pas une crise, mais où nous changeons de monde. Le moment que nous partageons en est une occasion. De cela, soyons félicités.

Je vous remercie.