Ouverture de la matinée « Parlement ouvert »
Jeudi 8 décembre 2016 à 9 heures
Hôtel de Lassay
Madame la présidente de la Chambre des députés italienne, chère Laura BOLDRINI,
Monsieur le Secrétaire général de l’Union interparlementaire,
Mesdames et Messieurs les parlementaires étrangers,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
C’est pour moi un immense plaisir de vous accueillir ce matin à l’hôtel de Lassay.
Madame la présidente, chère Laura Boldrini,
L’ouverture de cette matinée de réflexion à vos côtés constitue une nouvelle marque de confiance et d’amitié entre nos deux pays et nos deux institutions. En Europe, votre voix est de celles qui comptent, et qui renforcent notre volonté d’associer nos efforts pour l’avenir commun de notre continent. Vous êtes une pionnière dans l’évolution des modalités de participation des citoyens au travail parlementaire. Je vous remercie d’avoir répondu à mon invitation, et cela malgré les événements politiques que vit l’Italie depuis dimanche dernier.
Cette année, en prenant la co-présidence du Partenariat pour un gouvernement ouvert, la France a marqué sa détermination à s’engager dans la voie de la rénovation démocratique.
L’organisation de ce sommet mondial à Paris en est le signe tangible. C’est toujours un grand moment que de recevoir des délégations du monde entier, ce qui démontre notre capacité à échanger sur des questions communes. Cette rencontre est encore plus précieuse lorsqu’elle entend interroger l’exercice de la démocratie.
Mesdames et messieurs,
Les débats qui vont nous occuper au cours de cette matinée sont centraux. Interroger les processus d’ouverture de nos institutions, cela engage notre conception de la démocratie.
Alors que le monde est traversé par la montée des populismes, ici, en Europe, mais également au-delà des océans, nous réaffirmons aujourd’hui la force de notre modèle. Quand d’autres proclament la fin de la démocratie, nous œuvrons pour garantir l’idéal qu’elle incarne. La démocratie porte en elle les impératifs de liberté et d’égalité. Son principe est le gouvernement du peuple, pour le peuple, par le peuple.
Quand les citoyens se lèvent pour demander à être associés aux décisions, quand, partout dans le monde, ils revendiquent plus de transparence et d’ouverture, il ne s’agit pas d’une menace pour nos institutions. Cela traduit au contraire la soif des peuples, leur aspiration à construire ensemble, à participer, à comprendre, à s’exprimer. C’est, finalement, l’expression d’une grande maturité face aux enjeux actuels.
Répondre à cette aspiration, c’est une source de vitalité pour nos démocraties. C’est aussi la meilleure manière de les défendre, face aux tentations du repli sur soi.
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Depuis mon élection à la présidence de l’Assemblée nationale, voici quatre ans et demi, j’ai voulu faire avancer notre institution dans cette voie.
D’abord, en éclairant le citoyen. La transparence seule autorise la confiance, qui donne son sens à la démocratie représentative. C’est également un outil vers une plus grande compréhension du travail parlementaire.
Il était donc nécessaire, en premier lieu, de réaffirmer la transparence de la vie politique, ce que nous avons fait en créant la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Dans le même esprit, nous avons mis en place de nouvelles règles concernant les conflits d’intérêt, à travers un nouveau registre du travail des lobbys, accessible à tous sur le site de l’Assemblée nationale.
La transparence ne saurait cependant verser dans le voyeurisme. Car comme le disait le regretté Guy Carcassonne « Si la manie du secret est évidemment inacceptable, la transparence érigée en dogme ne l’est pas moins. Elle confond la fin et les moyens et dans son absolutisme se rattache beaucoup plus étroitement au totalitarisme qu’à la démocratie ». Par l’inscription dans la loi de ces principes, nous avons su éviter ce piège.
Les règles déontologiques ont également été réaffirmées et renforcées, et nous avons sanctuarisé le rôle du Déontologue de l’Assemblée nationale. Enfin, l’utilisation des indemnités versées aux députés pour mener à bien leur mission est désormais mieux encadrée.
La transparence devait également irriguer la décision politique. Aujourd’hui, l’opacité est devenue suspecte.
La décision politique à l’Assemblée nationale est dorénavant plus lisible, plus claire : les votes publics de chaque député sont désormais connus du citoyen.
De même, le montant et l’utilisation de la réserve parlementaire de chaque député, équitablement répartie entre la majorité et l’opposition, sont aujourd’hui connus de tous, et mis en ligne sur notre site.
Lorsque nous avons fait ces réformes, j’ai senti qu’elles répondaient à une attente réelle de la part de la société civile. Il y a là comme un travail de familiarisation réciproque, qui ne peut passer que par l’engagement conjoint des institutions et des acteurs de la société civile.
La transparence au Parlement, enfin, c’est aussi rendre la loi plus compréhensible, ainsi que les modalités de son élaboration. Les textes de lois sont souvent longs, complexes et difficiles – je crois que cela n’est pas propre à la France.
Mais la publication des données en format open data, comme nous l’avons fait pour plus de 800 000 documents, rend le processus législatif plus accessible pour le citoyen.
Éclairer le citoyen, assurer la transparence, c’était un premier pas fondamental. Mais nous avons voulu aller plus loin, en ouvrant la possibilité d’une participation citoyenne au travail parlementaire.
Nous avons notamment expérimenté un nouvel outil prometteur, la consultation citoyenne.
Grâce aux outils numériques, nous avons pu mener quatre consultations en ligne.
La première, en février 2015, a été conduite au moment de l’élaboration de la proposition de loi sur la fin de vie.
Il y a quelques semaines à peine, en octobre 2016, nous en avons effectué une autre, cette fois pour évaluer une loi : celle du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Deux autres consultations ont porté sur deux grands débats : la réforme des institutions, dans le cadre du groupe de travail que j’ai dirigé avec l’historien Michel WINOCK, et l’avenir de l’Europe, rejoignant votre initiative, Mme la présidente BOLDRINI.
Cet outil de la consultation a d’abord une vertu d’efficacité démocratique, puisqu’il permet, par la multiplication des échanges et l’approfondissement du débat, d’améliorer la qualité ou le contrôle de la loi.
Il est également facteur d’inclusion démocratique, parce qu’il fait connaître à la fois la procédure et le texte législatif au grand public, qui peut ainsi toucher à un exercice réputé inaccessible : faire la loi de la République, sans jamais confondre ce qui relève de la consultation et le vote de la loi par les représentants élus de la Nation.
Ce n’est pas seulement une chance pour le citoyen. C’est aussi une source de richesse pour le législateur.
Bien sûr, nous en sommes encore au stade de l’expérimentation. Il nous faut approfondir cette démarche, notamment en matière de méthodologie. C’est là que le regard exigeant de la société civile est essentiel, car nous, acteurs institutionnels, ne pouvons pas trouver les réponses à nous tous seuls.
L’ouverture des données de l’Assemblée a elle aussi été pensée comme une occasion démocratique à saisir pour promouvoir la participation. Entamée courant 2015, approfondie depuis, elle s’est concrétisée avec l’organisation du premier data camp de l’Assemblée nationale.
Avec cet événement, nous avons voulu encourager les citoyens motivés de tous horizons à construire des projets à partir de la matière brute de nos données. Je suis heureux de dire que mon optimisme est soutenu par les faits, car cette journée a été un succès. Elle a permis la rencontre des acteurs de la société civile et des services de l’Assemblée, et constituera le point de départ d’une collaboration féconde.
Ce sont là d’importants premiers pas sur la voie d’une participation citoyenne accrue au travail parlementaire.
Pourtant, je veux souligner que le numérique ne peut seul répondre à la question de l’association des citoyens au quotidien du Parlement. La maîtrise du numérique exclut de fait des pans entiers de nos populations. La fracture numérique ne doit pas les laisser de côté.
L’expérience des députés, qui multiplient les ateliers et les réunions publiques, ou mettent en place des jurys citoyens, renforce cette inclusion de tous dans la vie de notre assemblée.
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Il y a là, c’est ma conviction, les germes d’une véritable révolution. Il est certain que cela n’ira pas tout seul ; des blocages demeurent, parfois importants. Pour faire cette révolution démocratique, il faut d’abord, comme toujours, révolutionner les esprits. Tous les acteurs de notre vie démocratique doivent trouver leur place dans une dynamique de construction partagée, fondée sur une confiance mutuelle, au service de l’intérêt général.
La rénovation de la démocratie passe aussi par le renforcement de la place du Parlement, qui est l’émanation de la légitimité démocratique.
Ces nouveaux outils, qu’il s’agisse des consultations numériques, des ateliers citoyens ou de toutes les autres initiatives que nous soutenons, sont une chance pour nos Parlements. Ce sont des outils dont nous devons nous saisir pour affermir la place du pouvoir législatif.
Les laisser se développer du côté de l’exécutif sans que les parlementaires y soient associés constituerait une erreur majeure pour le pouvoir législatif, car c’est au Parlement que la nation est vraiment souveraine. A l’heure où l’accélération du monde met l’exécutif de plus en plus sur le devant de la scène, au risque de repousser les élus de la Nation dans les rangs des spectateurs, nous devons empêcher que les Parlements voient leur rôle réduit à celui de simples chambres d’enregistrement. Car si nos pays s’appellent des démocraties, ce n’est pas grâce aux présidents et aux premiers ministres : c’est d’abord grâce aux Parlements. Des Parlements démocratiques, des Parlements représentatifs, des Parlements ouverts.
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Mesdames, Messieurs,
A mesure que le monde avance sur le chemin du progrès, nous sentons, partout, l’aspiration démocratique se renforcer à travers de nouveaux outils, de nouveaux modes d’expression.
La soif populaire d’ouverture est réelle. Elle s’exprime dans une multitude d’initiatives institutionnelles ou citoyennes. Le partenariat qui nous rassemble cette semaine à Paris offre une occasion unique pour échanger à ce sujet. Ce dialogue nous nourrit ; il renforce notre conviction que la voie que nous avons choisie pour notre institution est la bonne.
Pour faire advenir la démocratie de demain, il y a bien sûr la possibilité de l’évolution institutionnelle. J’y ai réfléchi pour la France, avec Michel WINOCK et les membres du groupe de travail consacré à l’avenir des institutions. Mais sans attendre de changer les constitutions, nous pouvons déjà agir. Au-delà de la réforme de nos régimes, avançons dans la pratique que nous en avons.
C’est ce que je m’efforce de faire comme président de l’Assemblée nationale. C’est aussi ce que fait la Chambre des députés en Italie, quand Mme la Présidente BOLDRINI veut en faire « la maison de la bonne politique », avec un registre des lobbys et un code de déontologie.
L’ouverture du travail parlementaire à tous les citoyens est un pas essentiel vers une démocratie renouvelée, qui sera non seulement plus représentative, mais plus vivante et donc plus forte.
Nous ne laisserons pas le champ libre aux ennemis de la démocratie. La démocratie de demain sera d’autant plus forte que nous lui consacrerons toute notre énergie.
Certains voudraient ériger des murs. Soyons fiers des ponts que l’ouverture de nos institutions érige.
Je vous remercie.