Colloque sur le « Financement des transports terrestres :
la fin d’un modèle… et ensuite ?
Mardi 9 décembre 2014 – Hôtel de Lassay
Madame la Commissaire européenne chargée des Transports et de l’Espace,
Monsieur le secrétaire d’Etat chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche, cher Alain VIDALIES,
Monsieur le député, cher Philippe,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les professionnels des transports,
Je suis ravi de vous accueillir aujourd’hui en ces murs et je suis très heureux d’ouvrir votre colloque.
Avant d’insister sur l’importance du sujet qui vous réunit aujourd’hui, auquel de nombreuses actualités font écho, je tiens tout d’abord à saluer Madame Violeta BULC, commissaire européenne chargée des Transports de la commission de Monsieur JUNCKER installée le 1er novembre dernier.
Je souhaite vous remercier et vous dire combien je suis honoré que vous ayez répondu favorablement à notre invitation et que vous ayez choisi la France pour votre première visite officielle, et l’Assemblée nationale française pour commencer ce déplacement.
Votre venue s’inscrit dans un renforcement des liens entre les parlements nationaux et les institutions de l’Union européenne. J’y suis très sensible. Ces relations sont fondamentales si l’on veut augmenter la légitimité démocratique de la Commission, qui est un élément capital
au vu de la montée des populismes en Europe.
Madame la Commissaire, vous avez vous-même rappelé la semaine dernière devant la commission des Transports du Parlement européen l’importance d'un dialogue ouvert avec toutes les parties prenantes et votre intention d'y accorder une attention toute particulière. Vous avez également annoncé vouloir rendre visite aux États membres régulièrement, afin de vérifier les conséquences concrètes du travail de l'Union européenne. Votre présence à nos côtés en est la réalisation tangible.
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Si la venue de la commissaire Violeta BULC est une première, vous vous êtes déjà réunis dans une configuration similaire il y a deux ans à l’Assemblée nationale, pour parler du financement des transports ! Vous étiez rassemblés car vous vous préoccupiez de l’avenir de l’investissement en faveur de la mobilité.
L’aspiration de nos concitoyens à des transports de qualité, sûrs et adaptés à leurs besoins, le rôle joué par les infrastructures dans l’attractivité des territoires et leur développement, l’enjeu des échanges européens dans la dynamique économique et l’emploi, inscrivent en effet la question du financement des transports au cœur des priorités politiques.
J’avais ouvert vos travaux il y a 2 ans en me félicitant de la garantie des ressources pour l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports en France grâce à l’introduction de l’écotaxe poids lourds ; ou encore en évoquant la création de la Commission Mobilité 21, les questions de tarification et des taux du versement transport, l’asphyxie du réseau de transports franciliens et le besoin du plan de mobilisation pour les transports et du projet du Grand Paris Express.
Que de changements en deux ans, entre avancées pour certains sujets et reculs sur d’autres. J’y reviendrai.
Le constat d’une situation préoccupante concernant l’état des réseaux, la nécessité d’en améliorer la performance et d’en optimiser l’utilisation, vous ont conduit en 2014, deux ans après, à poursuivre la réflexion sur le modèle actuel de financement des transports terrestres, ses évolutions souhaitables et possibles.
Quand Philippe DURON est venu me demander au début du mois de septembre s’il m’était possible d’accueillir à nouveau une manifestation pour débattre des différentes pistes d’action, j’ai immédiatement accepté compte tenu de l’importance cruciale du sujet et de son actualité.
Deux ans après, la problématique se posait en effet avec encore plus de virulence. Le service de la dette est devenu le premier poste budgétaire du pays, devant l’Education nationale.
Et pourtant, nous avons plus que jamais besoin d’investissements dans les transports : investissements pour maintenir et entretenir les réseaux existants, dont l’état est préoccupant, quel que soit le mode, et que l’accident de Brétigny est venu violemment nous rappeler pour le ferroviaire ; investissements pour relancer la croissance et créer des emplois, au moment où la fédération nationale des travaux publics tire la sonnette d’alarme et s’attend en 2015 à la plus forte baisse d’activité en 30 ans et où la fédération des industries ferroviaires prévoient la destruction de 10 000 à 15 000 emplois dans les trois ans sans nouvelle commande.
J’ai donc dit oui, il y a à peine trois mois, en voyant l’intérêt de débattre du tarif unique dans les transports franciliens, du remplacement de l’écotaxe poids lourds par le péage de transit poids lourds et du manque de recettes consécutif pour le budget de l’AFITF et bien évidemment du plan d’investissements de 300 milliards annoncé dès le mois de juillet par le nouveau Président de la commission européenne, et des nouveaux outils de financement.
Je vais revenir plus précisément sur chacun de ces sujets dans un instant mais je souhaitais souligner, mon cher Philippe, qu’on dirait que depuis, l’actualité a tout fait pour accroître vos sujets de débat aujourd’hui et renforcer leur intérêt :
- Mi-septembre, l’Autorité de la concurrence dénonce une situation de « rente » des sociétés concessionnaires d’autoroutes et appelle le Gouvernement à une meilleure régulation du secteur, au moment où ce dernier négocie avec ces sociétés un plan de relance autoroutier de plus de 3 milliards. Son rapport a alimenté la mission d’information de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale en cours sur les autoroutes. Cette dernière travaille actuellement à un certain nombre de pistes pour rééquilibrer les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, et dégager des ressources pour le financement des infrastructures de transport. Je salue leur travail : la mission s’est particulièrement interrogée sur l’incohérence entre la prospérité financière des sociétés concessionnaires d’autoroutes et de leurs actionnaires et la situation budgétaire difficile du financement des infrastructures de transports.
On ne peut pas dénoncer cette situation et dans le même temps la faire perdurer en prolongeant les durées de concession et le périmètre concédé, dès que nous avons besoin d’investissements, comme c’est aujourd’hui prévu dans le plan de relance autoroutier. La mission laisse donc la porte ouverte à une dénonciation et à une réalisation par anticipation des contrats avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes par anticipation et à une renégociation avec elles pour une autre gestion du réseau autoroutier.
- Début octobre, le Gouvernement annonce la suspension sine die du péage de transit poids lourds, plongeant l’AFITF et le financement des infrastructures de transports en France dans la plus grande incertitude, et mettant à mal les questions de fiscalité écologique et les principes « utilisateur – payeur » et « pollueur – payeur ».
- le mois de novembre a aussi été marqué par le débat sur le tarif unique du Pass Navigo en Ile-de-France et l’augmentation du versement transports pour le financer en partie a été votée par l’Assemblée nationale vendredi dernier !
- et enfin, le 26 novembre, le Président JUNCKER a dévoilé les volets de son plan d’investissements qui prévoit
315 milliards d’euros pour les 3 prochaines années, et dont le secteur des transports sera l’un des principaux bénéficiaires.
Voilà donc un certain nombre d’éléments pour alimenter les débats d’aujourd’hui et je remercie Philippe DURON et l’association Transport Développement Intermodalité Environnement pour l’opportunité de cette journée.
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Avant de leur et de vous laisser la parole, je voudrais insister sur trois éléments qui seront évoqués au cours des débats et qui me tiennent tout particulièrement à cœur.
Le premier sujet, c’est la mise en place du tarif unique du Pass Navigo en Ile-de-France. Il s’agit d’une mesure qui agit concrètement pour le pouvoir d’achat des Franciliens et en faveur de la mobilité durable.
Il semblait en effet injuste que les usagers des transports en commun qui habitent le plus loin de Paris soient à la fois les moins bien desservis et ceux qui payent le plus cher.
La tarification unique, c’est à la fois un choix politique et une nouvelle manière de penser les transports.
La question du financement était toutefois essentielle car il était exclu que cette mesure se fasse aux dépens des investissements, si nécessaires à la Région – qu’il s’agisse de la maintenance et de la modernisation des réseaux existants - et notamment des réseaux de RER - ou du développement de nouvelles lignes pour faciliter la mobilité des franciliens et désenclaver des territoires encore oubliés du réseau de transport francilien et pour lesquels la voiture est la seule issue.
C’est pourquoi nous nous sommes tous collectivement battus pour que l’Etat concrétise ses engagements du protocole de juillet 2013 sur le Grand Paris des Transports.
Comme je le disais déjà devant vous il y a 2 ans, « tout commence par les transports ». En premier lieu, parce que la mobilité est un droit, le droit de se déplacer librement, d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi, à la culture. L’accès aux transports collectifs est indispensable.
L’élu de Seine-Saint-Denis que je suis, salue cette initiative et se réjouit de l’accord trouvé entre la Région Ile-de-France et la Chambre de commerce et d’industrie, ainsi que de l’amendement voté vendredi soir dernier qui trouve une solution sur son financement, pour permettre sa mise en œuvre dès la rentrée 2015.
Le second élément primordial, ce sont les limites du modèle économique actuel. Nous avons une dette colossale, notamment dans le cas du système ferroviaire, des contraintes budgétaires très fortes et dans le même temps un besoin d’investissement énorme pour satisfaire au moins l’entretien et la modernisation des réseaux. La question du financement est donc cruciale. L’abandon de l’écotaxe est venu remettre en question les ressources et le budget de l’AFIFT, mais surtout les principes essentiels d’« utilisateur – payeur », de « pollueur – payeur » et d’internalisation des coûts externes. Je regrette la situation actuelle sur l’écotaxe en France et j’espère, suite aux récentes annonces du Président de la République qui a proposé une expérimentation du dispositif de l’écotaxe en Alsace-Lorraine, que la porte reste ouverte pour permettre à d’autres régions de rentrer dans ce dispositif.
Enfin, je souhaite revenir sur le plan d’investissements de 315 milliards d’euros de la commission européenne. Je ne peux que me réjouir de voir que le sujet de l’investissement est désormais au cœur de l’agenda européen, ce qui n’était pas le cas il y a quelques mois encore. L’idée qu’il n’y a pas assez d’investissements en Europe fait consensus – je veux citer par exemple le Fonds Monétaire International – et il était temps d’y répondre. La commission est sortie des seuls discours de réduction drastique de la dépense publique et d’austérité. Elle rompt avec le dogme exclusif de la rigueur budgétaire.
L’idée de ce plan concrétise une impulsion politique que la France a beaucoup défendue, visant à soutenir les financements de l’économie réelle dans des secteurs prioritaires pour la France, notamment les transports et la transition énergétique.
Mais je voudrais dire que les annonces du 26 novembre constituent une base de travail qui doit être enrichie et améliorée.
En effet, il a pour l’instant été construit sur la base d’un faible montant d’ « argent public nouveau » et repose sur un très fort effet de levier sollicitant l'investissement privé. Je crains ainsi que ce plan soit trop modeste dans le schéma actuel et ne soit pas une réponse suffisante au vu de l’urgence de la crise. L’heure est grave et nous nous devons collectivement d’être à la hauteur. Les dernières élections européennes ont montré une forte augmentation du désintérêt, voire du désamour, de nos concitoyens pour l’Europe, avec des taux d’abstention record et une montée des populismes. Cette montée est indissociable de l'échec en Europe à lutter contre le chômage, et notamment le chômage des jeunes. Ce risque de populisme, je le prends très au sérieux car c’est une menace pour l’intégration européenne. Face à une situation exceptionnelle, il faut des réponses politiques exceptionnelles.
Soyons concrets, soyons sincères, soyons ambitieux, car sinon l’heure de vérité risque d’être sévère. Alors, osons, innovons, allons plus loin, dès maintenant et le plus rapidement possible.
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Je finirai en citant Aimé Césaire : « Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. »
La nouvelle commission a ouvert les yeux sur le manque d’investissements depuis de trop nombreuses années en Europe et s’est attelée à y apporter des réponses le plus rapidement possible. Le schéma proposé est un premier pas important qui mérite d’être souligné mais il faut poursuivre pour aboutir un grand bond nécessaire au sursaut de l’Europe
Je suis donc résolument optimiste et enthousiaste en notre capacité à trouver des solutions. L’Europe regorge de talents, de forces et de créativité pour construire une société durable, plus respectueuse de l’environnement, économiquement plus performante et socialement plus juste. S’agissant du secteur des transports, une grande partie de nos talents français se trouve réunie aujourd’hui ici et je ne doute pas que vous terminerez la journée avec de nombreuses et ingénieuses propositions, tant les questions qui vous occupent aujourd’hui sont fondamentales.
Je vous remercie.