Ouverture du colloque "La défense des droits de l'homme en Europe, une idée dépassée ? Le conseil de l'Europe plus indispensable que jamais".

« La défense des droits de l’homme en Europe,
une idée dépassée ?
Le Conseil de l’Europe plus indispensable que jamais. »

Monsieur le Secrétaire général Jagland,
Monsieur le Président de l’Assemblée parlementaire Agramunt,
Monsieur le ministre, cher Robert Badinter,
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec un grand plaisir que j’ouvre cette journée consacrée à la place du Conseil de l’Europe dans la défense des droits de l’homme.

Ce colloque constitue une occasion rare, trop rare, d’affirmer notre attachement à cette institution que nous accueillons sur le territoire français, dans une ville longtemps disputée par les armes avec notre voisin allemand. Aujourd’hui symbole d’un continent uni, le Conseil de l’Europe a réussi l’objet que nos prédécesseurs lui ont assigné : maintenir une paix durable au sein de nos démocraties.

Je remercie particulièrement M. René Rouquet, président de la délégation française de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui est à l’initiative de cette rencontre. Ce dernier a mis toute sa détermination et son engagement en faveur de notre plus ancienne institution européenne. Il nous permet de nous retrouver ici, au sein de l’Assemblée nationale, pour réaffirmer notre attachement à la défense des droits de l’homme, des libertés fondamentales, de la démocratie et de l’État de droit en Europe.

Je remercie également l’ensemble de l’administration de l’Assemblée nationale qui a permis la réussite de cette journée.
Le 5 mai 1949, en signant le statut du Conseil de l’Europe à Londres, les pères de l’Europe ont souhaité que la réunion des peuples européens autour des exigences démocratiques et de la suprématie du droit constitue un rempart durable contre la guerre qui avait anéanti notre continent.

Alors que les cicatrices de la guerre se refermaient à peine, ils ont eu la conviction que l’Union apporterait stabilité et prospérité. Avec le temps, l’intuition s’est faite démonstration. La démonstration, évidence. Au point que certains aujourd’hui semblent la perdre de vue.

Avec l’installation de la paix, le Conseil de l’Europe a consacré le triomphe du droit sur l’arbitraire.

Par sa vocation pan-européenne, devenue réalité, les différentes conventions signées sous son autorité, les mécanismes mis en place pour assurer le respect des droits proclamés, le Conseil de l’Europe constitue le premier phare que nos prédécesseurs ont bâti pour éclairer notre continent.

Bien sûr, depuis, d’autres lumières, en Europe, ont été allumées pour orienter notre chemin. On entend que certaines auraient terni l’éclat du Conseil. Il est vrai que l’Union européenne, née de cette même vision de l’Europe, a connu une croissance inédite.

Pourtant, notre continent a besoin du Conseil de l’Europe. En ces temps d’incertitudes, alors qu’un conflit menace sa stabilité, que les populismes se nourrissent des hésitations sur notre avenir commun, nous savons maintenant que ce dont nous avons hérité n’est pas immortel. Tout comme nos pères, nous devons réaffirmer l’autorité de nos institutions communes, mettre en avant ce qu’elles nous apportent. Comme nos pères, qui ont dû convaincre de la nécessité de la construction européenne, nous devons aujourd’hui proclamer ce que nous lui devons.

Les tourments récents nous rappellent l’importance de la diplomatie européenne, dont le Conseil constitue l’un des meilleurs lieux d’échanges.

Cet été, vous avez affirmé, Monsieur le Secrétaire général, qu’on ne pouvait renverser un gouvernement démocratiquement élu.

Grâce à votre mobilisation en faveur de l’État de droit, la Turquie a pris l’engagement du respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme dans la mise en œuvre des mesures prises en réponse à la tentative de coup d’État à laquelle elle a dû faire face.

L'Assemblée parlementaire s'est montrée d'une grande fermeté lors du déclenchement de la crise ukrainienne, ne transigeant pas avec les valeurs de notre continent. Malgré les oppositions, votre déplacement récent en Russie, Monsieur le Président Agramunt, démontre l'attachement de votre institution à la poursuite du dialogue avec cet État partie, dans le respect du droit. Comme vous l'avez déclaré, ni le Conseil ni la Russie ne sortiront grandis du blocage actuel.

C'est la force du Conseil de l'Europe : permettre le dialogue au niveau du continent entre pays, dont les traditions juridiques sont parfois éloignées, mais qui tous ont pris l'engagement de la voie du droit et du respect des principes démocratiques.

La force du Conseil de l'Europe, c'est également d'avoir mis en place un ensemble de mécanismes permettant de s'assurer que les engagements pris devant lui sont respectés. La Convention européenne des droits de l'homme et la Cour européenne constituent, sans nul doute, l'une des plus grandes réussites de mécanisme de garantie des droits fondamentaux. Montrée en exemple de par le monde, elle place le citoyen au centre de la protection des droits fondamentaux. Bien sûr, il n'est jamais aisé d'accepter une condamnation de nos règles de droit à l'aune de la Convention européenne des droits de l'homme. Mais lorsque le maître reprend l'élève, on ne conteste pas la légitimité du premier. On reprend son ouvrage et on se conforme aux exigences posées. Comment ne pas voir comme un progrès les exigences que la Cour a posées en matière de droit à un procès équitable ? En matière de prohibition de traitement inhumain et dégradant ? Ou des droits fondamentaux des plus fragiles ?

Si la Cour européenne des droits de l'homme a souvent l’honneur de l’attention, c’est l’ensemble du Conseil de l’Europe qui est tourné vers ces enjeux. Telle notre conscience, bonne ou mauvaise, le Conseil nous rappelle à nos engagements, à ce qui fait la spécificité de notre continent : la démocratie, l'universalité des droits de l'homme, l'humanisme.

Alors que notre continent est aujourd'hui traversé de doutes, de tensions, de peurs, de méfiance vis-à-vis de l'Autre, il constitue la lueur vers laquelle nous devons nous tourner, la boussole qui doit guider notre conduite. Il n’oublie jamais les faibles, les sans voix, les minorités rejetées, les populations jetées sur les routes par la guerre et la misère.

Les discours de défiance à l'égard du Conseil ou de la Cour européenne des droits de l'homme que l'on entend, parfois jusque sur nos bancs, ici, à l'Assemblée nationale, les agacements, les remises en cause ne peuvent être acceptées.

C'est là ma conviction profonde. Oui, nous avons besoin d'Europe, de plus d'Europe, de mieux d'Europe.

Membres ou non de l'Union européenne, nous avons tous besoin du Conseil de l'Europe dans l'accompagnement de l'exercice de la démocratie, pour la construction de sociétés inclusives et non racistes, pour édicter des dispositifs légaux de sécurité et de justice à l'aune des enjeux de la lutte contre le terrorisme, dans la protection des plus faibles.

Nous avons besoin du Conseil de l'Europe comme d’un guide. Le Conseil sait nous rappeler qui nous sommes.

Nos peuples sont aujourd’hui confrontés à des menaces qui entendent nous faire oublier nos valeurs, nos libertés, notre pluralisme démocratique. Face aux crispations sur l’identité, aux blessures du terrorisme, nous devons rester nous-même.

Nous, peuples européens, qui avons inventé la démocratie, les libertés individuelles et politiques.

C'est justement quand la houle est forte, que le ciel s'assombrit, que la lumière venant de Strasbourg est essentielle. Bien que le cap semble parfois malaisé à maintenir, l’ignorer nous ferait sombrer. C'est ce que cherchent nos ennemis. Ils échoueront.

Pour ces raisons, ce colloque, dans les murs de notre Assemblée nationale, dans la salle qui porte le nom de Victor Hugo, est nécessaire. Nous devons maintenir, renforcer les liens entre le Conseil et les parlements nationaux. C’est avec cette conviction que je me rendrai cette semaine à Strasbourg. Je souhaite que cet événement soit l’occasion du renforcement de la coopération entre l’Assemblée parlementaire et notre maison. En ces temps de doutes, notre conviction est celle de nos pères : nous voulons l’union de notre continent. Nous croyons en la suprématie du droit comme ciment de cette union. Et nous devons aujourd’hui plus qu’hier le proclamer haut et fort.

Je vous remercie.