Ouverture du colloque « Manager en mode LOLF, 15 ans après : des outils et des hommes »

Colloque Manager en mode LOLF.
15 ans après, des outils et des hommes
Hôtel de Lassay, jeudi 22 septembre 2016, 14h30

 
Monsieur le Premier Président, cher Didier,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chers amis,

Je vous souhaite à toutes et à tous la bienvenue à l’Assemblée nationale. Vous êtes venus nombreux, de toute la France, pour venir assister à l’entrechoquement des idées et des expériences les plus actuelles sur un des grands textes de transformation de notre temps. Vous êtes venus nombreux, de tant d’horizons professionnels, pour confronter vos opinions, vos épreuves, vos réussites, aux analyses de brillants représentants de nos pensées et de nos actions.

Qu’ils soient universitaires, politiques, magistrats, administratifs, ils assureront en cet après-midi, un peu plus encore, la portée de ce texte promulgué à l’aurore de notre siècle.
Cela fait 15 ans cher Didier. Il est temps, en effet, de suspendre le cours du tourbillon quotidien pour, non pas simplement dresser un bilan, mais éclairer l’avenir de nos expériences accumulées, et, si possible, de le corriger. Je me réjouis de l’organisation conjointe de ce colloque qui, j’espère, fera date, entre la Cour des comptes, l’Assemblée nationale et le Sénat. Le premier volet de ce colloque eut lieu au Sénat au début de l’été. Il portait sur la comptabilité générale de l’Etat, que la Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a en effet profondément transformé. Le deuxième volet, c’est aujourd’hui, et il portera sur l’action elle-même, sur la faculté qu’eut ce grand texte à transformer les caractères même de l’action publique, de ses décisions, des habitudes des femmes et des hommes qui l’animent et qui l’encadrent.

Je suis très heureux de l’engagement de l’Assemblée nationale dans ce moment de réflexion et d’analyses.
On croirait, à voir ces murs et ces salles, ces statues et ces tapisseries empreints d’une si solennelle dignité, qu’on n’y juge pas des impérieuses nécessités du temps. Eh bien ce serait faux, si faux. Les murs bruissent ici des temps et des époques qui sont, quelquefois, si impatients d’advenir.
Et ce fut le cas entre 1998 et 2001, ces trois années, sous l’égide de Didier Migaud, alors député de l’Isère et rapporteur général de la Commission des finances, qui virent ici la constitution et le développement d’un groupe de travail de l'Assemblée nationale sur l'efficacité de la dépense publique et le contrôle parlementaire. D’un groupe de travail, on passa à une Mission d’évaluation et de contrôle, puis à une proposition de loi organique.

La Lolf est un texte d'origine parlementaire. La matière en est précise, technique, mais l’enjeu, pour notre institution, en est historique.
Je n'étais pas député au moment de la Lolf puisque j'étais ministre de la Ville. Mais je me souviens du singulier enthousiasme qui avait saisi nos collègues parlementaires peu enclins, d'ordinaire, à se sentir pousser des ailes de Mirabeau ou de Gambetta sur des textes financiers...
On parlait de missions, de programmes, de responsables de programmes, d’indicateurs, d’examen au premier euro, avec la même ardeur que l’on mettait jadis à évoquer les colonels, les infanteries, les galons et les avancements. Les finances publiques étaient devenues à la mode.
Le Parlement prenait une certaine revanche sur l'Histoire de la Vème République, sur le rôle financier que le grand constituant lui avait attribué, sur sa capacité à structurer l'Etat dont les constitutionnalistes s'étaient habitués à ce qu'il soit dépendant, justement, des raisons d'Etat et des nécessités d'une époque quelquefois troublée. 2001 n’était plus 1959, et le nouveau siècle, c’était décidé, c’était écrit, serait parlementaire.

L'ordonnance du 2 janvier 1959 était en effet, on peut aujourd’hui le reconnaître, un enfant discret, un peu caché, des salons ministériels; je dirais, en admirateur du Coup d'Etat permanent, un ouvrage un peu populaire dans ma famille politique, du Secret du Roi. On ne peut pas dire qu'elle enfantait une organisation financière et gestionnaire catastrophique, puisqu'elle dura 42 ans.
Mais, tout de même, l'Ordonnance avait légué à l'Etat et au débat budgétaire une organisation, ce que notre grand écrivain André Maurois aurait appelé un « climat », dont on ressentait les caractères du contexte qui l'avait fait naître. En 1959, les plumes qui écrivaient les ordonnances, malgré leur indiscutable talent, et souvent leur prescience historique, souffrait d'une certaine méfiance envers la représentation nationale. On avait négligé le Parlement, le Parlement a finalement réagi.
Vous fûtes, M. le Premier Président, le moteur de cette réaction. Et la postérité vous a attribué le titre de Père de la Lolf, que vous partagez avec Alain Lambert, à l'époque sénateur de l'opposition et président de la Commission des finances du Sénat. Je profite d'ailleurs de l'évocation du nom d'Alain Lambert, sans doute la première d'une longue série durant cette journée, pour l'assurer de notre amitié et de notre solidarité. Il nous manquera, bien entendu, en cet après-midi.

La Lolf avait posé des principes clairs. L'action de l'Etat devenait lisible, les politiques publiques détaillées, publiées, disponibles.
Le Parlement pouvait exercer une action complète de discussion, de réforme, d'amendement et de consentement. Les objectifs sont écrits, les résultats sont mesurés, contrôlés. Les performances des politiques publiques ne sont pas qu'un mot sans sens, mais un concept décliné.
Il y avait à l'époque une grande ambiance en la matière. Le plus profond élan de réforme de l'administration fut sans doute, avant la Lolf, incarné en Italie par la Réforme Bassanini, du nom de Franco Bassanini, ministre de la Fonction publique des gouvernements italiens de Romano Prodi et Massimo D'Alema. Ses quatre lois, entre 1997 et 1999, avaient donné un rythme européen aux réformes de l’Etat dans nos pays.
La Lolf, comme tous les grands élans législatifs, a souffert de son ambition. On la voulait parfaite, on croyait que de vieux réflexes, d'anciennes habitudes, d'antiques organisations allaient être bouleversés par ce vent de fraîcheur. La Lolf n'est pas une divinité abstraite dont émane un sentiment de fin de l'Histoire. Souvent, l'Histoire rattrape nos grandes démocraties.

Les Pères de la Lolf, vous-même M. le Premier Président et Alain Lambert, avez très tôt dès les premières années, mis en lumière des lenteurs, imperfections de la mise en œuvre de la Lolf. On les connaît, je n'y reviens pas : fongibilité asymétrique qui n'eut pas les effets escomptés, effets pervers des indicateurs dédiés à l'évaluation des objectifs annuels de performance, trop nombreux, porteurs de nouvelles rigidités, de comportements tatillons, d'une obsession de reporting sans stratégie. Ces effets n’étaient pas dus au texte, bien entendu, mais au manque de rigueur avec lequel l’Etat et les gouvernements suivaient, surveillaient, cultivaient ses principes et son ambition.
J’y ajouterais une divinisation de tout ce qui était privé par opposition à ce qui était public : modes de fonctionnement, gestion des ressources humaines, organisation des cadences, qui aboutit quelquefois à stigmatiser les singularités du service public qui demeure à mes yeux, envers et contre tout, une particularité précieuse et indispensable de notre modernité. Les services publics seront toujours le patrimoine de ceux qui n’ont pas de patrimoine.

Rien, dans la Lolf, ne remettait en cause le modèle social français.
Au contraire, le gestionnaire, que vous appelez aujourd’hui le manager, y acquérait une nouvelle vertu : la responsabilité. Manager en mode Lolf, pour reprendre le titre aux consonances juvéniles de ce colloque, c’est gérer en acteur investi de toutes les dignités de la responsabilité. En matière de calendrier, de comptes à rendre, de responsabilité managériale, stratégique, de disposition de marges de manœuvre, d’initiatives possibles, l’acteur public n’était plus attendu sur le suivi de directives, mais sur sa participation à la dynamique d’ensemble. Je me réjouis que l’après-midi fasse se succéder sur l’estrade tant d’acteurs et de concepteurs d’outils de ce changement, car c’est cette fécondité de la loi organique qu’il convient d’évaluer. Sans doute, les promesses d’autonomie et de responsabilité n’ont pas été entièrement tenues, sinon il n’y aurait pas de colloque à faire. C’est l’endroit, c’est le moment pour tout dire, pour essayer de comprendre ensemble ce qu’il faut améliorer, changer, transformer. Que personne ne se taise !

Voir cette assemblée est une expérience émouvante. Nous avons connu, avant 2001, la Lolf avant qu’elle n’existe.
Nous l’avons connue comme objet d’une réforme nécessaire à accomplir, puis comme réalité vivante, pleine de promesse et de possibilités. Aujourd’hui, en vous regardant, je vois des visages jeunes, des visages d’étudiants. Il y aussi, sans doute, des visages d’enseignants, de managers publics, de fonctionnaires, d’administrateurs, de membres de think tanks, des esprits curieux. Bref, je vois à vos regards que cette humble épître parlementaire est devenue une Bible ! Je vois qu’elle est étudiée, commentée, que son histoire est devenue une partie de l’histoire parlementaire moderne. Je vois surtout qu’elle est devenue une partie de l’histoire de notre Etat, le détonateur, sans doute, de la réforme de l’Etat.

Alors retrouvons en ce jour d’automne la vitalité de nos échanges du tournant des années 2000.
Retrouvons le sens du service de l’Etat, cet Etat que nous craignons quelquefois, que nous défendons souvent, dont nous sommes toujours si fiers, finalement, en France, car de la réalisation de ses missions dépend le respect des principes de notre devise et de nos valeurs les plus chères.
Retrouvons la ténacité des grands fondateurs pour redonner aux réformes à faire, aux progrès à provoquer, aux objectifs à atteindre, la vigueur des grandes aventures.

Je vous remercie.