Discours de Claude Bartolone,
Président de l’Assemblée nationale
Introduction du colloque
« Pénibilité au travail, prévenir et accompagner »
Monsieur le Président du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFTP), Cher François DELUGA,
Monsieur le Président de la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), Cher Michel HIRIART,
Monsieur le Président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), Cher Philippe LAURENT,
Chère Françoise DESCAMPS-CROSNIER,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux d’accueillir à l’Assemblée nationale votre colloque consacré à la pénibilité au travail et à la façon dont on peut la prévenir.
Je suis très heureux car je me sens concerné à un double titre.
En tant que législateur bien sûr, car j’ai pleinement conscience que les collectivités territoriales ne disposent pas, aujourd’hui, de tous les outils, notamment juridiques, nécessaires à la prévention de la pénibilité.
En tant qu’élu local également, puisque, vous le savez certainement, j’ai eu l’honneur d’être Président du conseil général de la Seine-Saint-Denis. Et comme vous, j’ai dû faire face à des situations particulièrement difficiles d’agents usés par un travail pénible et que mes services ont dû accompagner dans une évolution professionnelle. Les élus et les agents que nous sommes le savent : les collectivités territoriales comptent 75% d’agents de catégorie C, parfois particulièrement fragiles, qui doivent bénéficier tout au long de leur carrière d’une protection et d’un accompagnement de leur employeur.
Vous avez donc choisi de travailler aujourd’hui autour d’un sujet tout à fait décisif pour la société française : comment faire en sorte que le travail, qui tient une place essentielle dans la vie de nos concitoyens, ne rende plus malade ?
Car c’est un fait : si le travail est un moyen de gagner sa vie et un moyen de se réaliser, de s’épanouir et d’être utile socialement, il peut aussi être source de souffrances physique et psychologique, parfois irréversibles et qui gâchent la vie au quotidien. La sphère professionnelle entre ainsi comme par effraction dans la sphère privée et nous devons encadrer cela.
C’est un fait également : la pénibilité au travail ne concerne pas uniquement le monde de l’entreprise. Dans les collectivités territoriales, dans les services de l’Etat et l’hôpital, le travail peut aussi agresser le salarié. Ne pas être soumis à la recherche du profit ne préserve en rien du risque, de la pression, du burn-out.
C’est d’autant plus vrai que nous allons devoir travailler plus longtemps : la prévention de la pénibilité prend donc une dimension nouvelle avec l’allongement des carrières professionnelles. Peut-on attendre d’un salarié qui a été durablement exposé qu’il allonge sa période d’activité professionnelle à l’instar d’autres salariés qui ont bénéficié de conditions de travail plus favorables ? Je ne le crois pas. Les agents concernés sont d’ailleurs de plus en plus nombreux : en 2011, trois fois plus de maladies professionnelles ont été reconnues parmi les agents des collectivités territoriales qu’en 2003.
L’objectif est donc à la fois de réduire l’exposition à la pénibilité, d’adapter et d’aménager les conditions de travail, mais aussi d’aménager les carrières et de favoriser le maintien dans l’emploi.
Alors que faire ? Laissez-moi vous donner la vision que je me fais de nos responsabilités collectives, nous, élus, cadres supérieurs de la fonction publique, médecins, psychologues et organisations syndicales. Nous avons trois exigences et je dirais même trois devoirs vis-à-vis des agents exposés à la pénibilité.
1. D’abord, protéger la santé physique et morale des travailleurs. On meurt encore d’avoir travaillé. Ce n’est plus acceptable. Il existe encore des métiers où le salarié est exposé à des risques chimiques, où il doit manipuler des produits dangereux, des métiers où sa vie doit particulièrement être protégée : éboueurs, égoutiers, chaque jour dans nos collectivités aussi, des hommes et des femmes prennent des risques. Je pense aussi à des métiers qui sont loin d’être dangereux, et pour cause, mais qui usent également les corps : les métiers de la petite enfance. Laissez-moi vous raconter cette anecdote : alors que j’étais président du conseil général, je visitai une crèche départementale et là, je tombe nez à nez avec une dame, Chantal, qui s’était occupée de mon garçon, il y avait plus de 30 ans de cela ! Et bien en 30 ans, son corps s’était fatigué, et elle ne pouvait plus porter dans les bras les petits bout’chous comme elle l’avait fait avec mon fils.
Mais à ces risques souvent anciens, souvent identifiés et couverts par toute une série de procédures de contrôle, d’autres se sont ajoutés, de nouveaux, souvent plus insidieux. On parle alors de « risques psycho-sociaux ». On découvre alors que la pénibilité au travail n’est malheureusement pas l’apanage des agents de catégorie C : les cadres B et A sont aussi concernés. Ce sont eux qui doivent être accompagnés pour ne pas se laisser déborder par les technologies de l’information et de la communication qui rendent toujours plus floues les frontières entre la sphère professionnelle et la sphère privée. Je pense aussi aux travailleurs sociaux qui doivent répondre chaque jour à des situations de précarité et à la souffrance de nos concitoyens avec des moyens parfois très limités. Je me souviens de ces éducateurs de Bobigny qui me disaient leur désarroi de ne pouvoir accueillir dignement tous les enfants et notamment les nombreux mineurs isolés étrangers qui venaient du bout du monde leur demander de l’aide.
Qu’il s’agisse des ingénieurs ou des policiers municipaux, c’est finalement tout au long de la vie des travailleurs qu’il faut prévenir la pénibilité au travail et les risques psycho-sociaux.
2. Et c’est d’ailleurs le deuxième devoir qui nous incombe : prévenir la pénibilité.
Vous le savez, la loi sur la réforme des retraites a conçu le compte personnel de prévention de la pénibilité ouvert pour les salariés du secteur privé. Il va être mis progressivement en place pour ces salariés exposés à des travaux pénibles.
Ernest Renan disait : « la plus grande injustice, c’est de traiter de manière égale ce qui est inégal ».
C’est pourquoi, désormais, l’exposition à des emplois pénibles sera reconnue et donnera au salarié le droit de se reconvertir grâce à une formation sur un métier moins pénible. Il pourra également choisir de réduire son temps de travail ou bénéficier d’une majoration de durée d’assurance vieillesse. Cette avancée sociale majeure réinterroge évidemment la situation des agents de la fonction publique, qui sont pour leur part protégés par les catégories dites « actives ».
Ces agents peuvent d’ores et déjà partir cinq ans avant l’âge légal, soit à 57 ans. On pense aux sapeurs-pompiers professionnels ou encore aux agents des directions départementales de l’eau et de l’assainissement.
6% des agents sont concernés par ces catégories actives. Intuitivement, on sent que c’est peu et que ça ne reflète probablement pas la réalité de la pénibilité au travail. D’où, je le disais l’importance absolue de prévenir et d’accompagner ces milliers, ces millions d’agents des collectivités territoriales. Car comme vous, je n’accepte pas qu’un agent qui a subi l’exposition à des risques pendant des années ne puisse pas bénéficier de mesures compensatoires : on ne peut plus se contenter de mettre des milliers de fonctionnaires en disponibilité d’office. Je ne connais pas de « bras cassés » -quelle expression terrible !- je connais des femmes et des hommes qui ont consacré des années de leur vie au service public et qui sont usés. On leur doit un accompagnement spécifique.
La prévention des risques psycho-sociaux est dès lors déterminante.
3. Enfin, nous devons promouvoir la qualité du travail dans nos collectivités.
Pour cela, le dialogue social joue un rôle déterminant pour établir des compromis équilibrés qui ne sont pas la victoire d’un camp sur un autre. Les organisations syndicales jouent bien entendu un rôle primordial pour alerter les employeurs et les cadres dirigeants que nous sommes sur le mal-être au travail.
Outre le dialogue social, il faut évoquer les changements d’orientations politiques dus aux alternances électorales. C’est heureux, nous vivons en démocratie, mais je sais pour l’avoir vécu en 2008, à mon arrivée à la présidence du département de la Seine-Saint-Denis, que la venue de nouveaux élus peut être source d’inquiétude et d’interrogation pour les agents. C’est d’autant plus vrai quand ces changements de maire ou de président s’accompagnent de changements d’organisation pas toujours très utiles : un agent me disait ainsi qu’il avait le sentiment d’être en réorganisation permanente…
Je pense aussi aux différentes réformes territoriales ! Si je ne doute pas qu’elles sont indispensables, je comprends parfaitement qu’elles génèrent des angoisses pour les agents territoriaux.
Derrière l’affirmation : « le département va disparaître », on peut entendre aussi « je vais disparaitre »… L’effort de pédagogie est alors crucial.
Reste enfin la question de l’articulation entre la vie privée et la vie professionnelle où nous devons continuer de progresser.
Ces enjeux ne sont pas périphériques au travail. Ils sont les nouveaux enjeux du débat qui doit être lancé sur le travail, dans nos collectivités.
En conclusion, tout repose sur l’implication et la détermination de tous les acteurs de la fonction publique territoriale que vous êtes.
Je ne doute pas que ce colloque, organisé de façon conjointe par le Centre national de la fonction publique territoriale, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale et la Fédération nationale des centres de gestion, sera l’occasion de formuler des propositions concrètes d’évolutions législatives et réglementaires afin que la pénibilité au travail soit mieux prise en compte dans la fonction publique territoriale.
En tant que législateur et élu local, vous pouvez également compter sur mon implication et ma volonté. Je vous remercie de votre écoute et vous souhaite une journée de travail fructueuse.