Conférence de presse – Mission Brexit
Hôtel de Lassay, mercredi 15 février 2017
Mesdames et Messieurs les parlementaires membres de la mission,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les journalistes,
Le Royaume-Uni s’est prononcé sur son appartenance à l’Union européenne le 23 juin 2016. Le camp du « Leave », favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’UE, l’a emporté avec 51,9 %, contre 48,1 % pour le « Remain », camp pro-européen.
Immédiatement, j’ai souhaité que l’Assemblée nationale se saisisse des enjeux de cet important événement. Je l’ai souhaité pour une raison simple : le peuple français, peuple fondateur de l’Union européenne, peuple moteur de la construction communautaire, inspirateur d’une grande Europe, profonde, prospère et solidaire, doit maîtriser le destin de son continent et de l’Union.
La France, pays fondateur de l’Union, est très attachée au rêve européen. Elle est attachée aux principes et aux valeurs portés par les Pères fondateurs d’une Union qui, après la Seconde guerre mondiale, ont voulu mettre en place ce que tant d’esprits considéraient comme une utopie : mettre fin aux guerres civiles européennes qui tant de siècles ont ensanglanté nos nations. C’est pourquoi j’ai tenu à présider la mission et à en être le rapporteur. Réussir l’avenir de l’Europe, c’est réussir le combat contre la guerre et la misère.
Je tenais à ce que toutes les sensibilités politiques de notre Assemblée puissent porter leur voix au sein de cette mission. Je remercie avec amitié tous les parlementaires qui n’ont pas ménagé leur temps et leur peine pour éclairer ces importants enjeux. Je remercie particulièrement les vice-présidents de la mission, Élisabeth Guigou, Pierre Lequiller, Philip Cordery et Daniel Fasquelle. Un grand merci également aux services de l’Assemblée nationale, incarnation de l’excellence, que je transmets à Michel Moreau, notre secrétaire général, à Marie-France Hérin, directrice des affaires européennes, et à ses troupes, Marion Muscat, Clémentine Simon, Frédéric Villand et Johanna Hani.
Voici le résultat de notre travail : le rapport, à disposition de tous les Français, et aussi de tous les Européens, intitulé Brexit : un défi pour l’Union européenne.
La mission, depuis septembre, a auditionné trente personnes, ici même à l’Assemblée nationale, dont quatre membres du Gouvernement. Nous avons vu des hauts fonctionnaires, des responsables associatifs, des intellectuels, des syndicalistes, des chefs d’entreprise, des salariés. Nous avons effectué quatre déplacements à l’étranger, à Londres, à Bruxelles, à Berlin et à Francfort. Nous avons tenu à rencontrer les personnes qui s’apprêtent à organiser le Brexit et qui s’y préparent. Nous avons eu des entretiens à Londres avec Hilary Benn, président de la commission parlementaire chargée de suivre la sortie de l’UE (et d’autres parlementaires membres de la commission), avec le ministre du Brexit David Davis, avec le ministre Greg Hands, ministre du Commerce et de l’Investissement. Franchement, à Londres, nous n’avons eu que peu d’éclaircissements.
A Berlin, nous avons rencontré la communauté d’affaires, les think tanks, Michael Roth, ministre des affaires européennes.
A Francfort, Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne, nous a rassurés sur les perspectives de croissance européenne à moyen terme.
Nous avons vu les négociateurs de l’Union : Guy Verhofstadt pour le Parlement, Didier Seeuws pour le Conseil, Michel Barnier pour la Commission.
L’actualité, pendant les mois où la mission travaillait, m’a conforté sur la nécessité d’une telle mission. En effet, les responsables britanniques sont demeurés flous sur leurs intentions. Non seulement ils étaient flous, mais ils semblaient avoir la tentation de commencer des négociations avec des pays ou des secteurs alors que l’article 50 n’a pas encore été activé.
Le 17 janvier, la Première ministre May est sortie de ce silence pour tracer les grandes lignes des positions de négociations du Royaume-Uni, confirmant l’hypothèse d’un Brexit dur, orientations réaffirmées par le Livre Blanc transmis au Parlement le 2 février. La Première ministre a confirmé que le gouvernement britannique souhaitait obtenir le plus d’avantages possibles pour l’Union européenne, mais sans en endosser les contreparties.
J’entends ici ou là que la position de la France pourrait être « punitive ». Rien n’est plus faux. Il est hors de question de punir un peuple pour ce qu’il décide de voter, bien entendu. En revanche, la France fera tout pour que l’Union européenne, face aux doutes populaires qui se font entendre en notre temps, retrouve la fraîcheur et la puissance du message qui la fonda, il y a quelques décennies. Ce message, en notre XXIème, j’en suis convaincu, demeure la clef du succès dans un monde compétitif et souvent cruel. Nous ne pouvons être en accord avec le discours de Mme May.
Nous proposons un rapport clair, précis et efficace. Vous y trouverez un plan pédagogique et des recommandations résolues.
Trois principes fondamentaux ont été affirmés par les Vingt-Sept depuis le mois de juin : 1) pas de négociations sans notification ; 2) l’acceptation de chacune des quatre libertés comme condition de l’accès au marché unique ; 3) les négociations ne sauraient aboutir à ce qu’un État tiers bénéficie d’un régime aussi avantageux qu’un État membre. Ces principes n’ont qu’un seul but, qui devra être notre fil conducteur dans les négociations à venir : préserver l’intérêt de l’Union avant tout.
Pour prévenir les divisions, nous proposons de promouvoir une approche globale des négociations, et d’éviter de conduire des négociations secteur par secteur qui pourraient raviver inutilement certaines tensions.
La colonne vertébrale des quatorze recommandations que je vous soumets est donc claire : préserver avant tout la cohérence et la solidité de l’édifice européen, patiemment construit pierre par pierre depuis plus de cinquante ans. Je le dis et le répète : il est si difficile de construire, mais si facile de détruire.
Nous proposons de régler rapidement la question du statut des citoyens européens touchés par le Brexit, c’est une priorité. Nous proposons ensuite d’utiliser les instruments existants comme base de négociation, qui semble le meilleur moyen de préserver les acquis européens. Ainsi, l’Union européenne ne sera pas contrainte de s’arrêter de vivre, de s’approfondir, de s’améliorer parce qu’un Etat en sort. L’Union doit continuer à construire l’Histoire, sans le Royaume-Uni.
En ce qui concerne le suivi des négociations, nous proposons un calendrier de deux ans, sans prorogation.
Nous proposons une approche globale, pour que la recherche d’avantages compétitifs par le Royaume-Uni, secteur par secteur, ne divise pas l’Union. Nous proposons aussi que le rôle du couple franco-allemand demeure fondamental, ce duo demeurant, à chaque péripétie de l’Histoire de l’Union, la clef des avancées.
Le rapport propose enfin une certaine vision du travail parlementaire comme garant de l’intérêt du peuple dans le suivi de ces négociations. Nous formons le vœu insistant que la prochaine législature prenne ce travail à bras le corps. Les citoyens français doivent être partie prenante des détails de ce processus. La mission propose d’ailleurs que le Parlement français puisse s’exprimer sur les deux accords, l’accord de sortie et le futur accord avec le Royaume-Uni devenu Etat tiers, au moyen d’un débat avec vote.
Nous proposons une intensification de la diplomatie parlementaire européenne. Elle existe déjà, elle manifeste la présence, le travail et l’influence des représentants du peuple partout dans l’Union, et au Royaume-Uni. Nous la souhaitons toujours plus active, toujours réactive et présente.
L’Union européenne continuera sa route, elle continuera d’améliorer la vie des citoyens européens, elle continuera à promouvoir pour elle-même et pour le monde le respect de ses valeurs et la volonté d’une société plus juste.
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Le peuple britannique a décidé de sortir de l’Union européenne. Son choix est souverain et nous le respectons.
Mais nous faisons une constatation : pour la première fois dans l’histoire européenne, un peuple européen a estimé qu’il serait plus fort, mieux protégé, sans l’Europe qu’avec elle
Depuis longtemps, nous sentons dans la population une grande inquiétude. J’ai signé le 14 septembre 2015 avec certains homologues européens, allemand (Norbert Lammert), luxembourgeois (Mars Di Bartolomeo) et italienne (Laura Boldrini) une déclaration commune où nous appelions à un sursaut européen pour que l’Union européenne s’engage dans davantage d’intégration et se hisse vers son idéal. Nous avons créé le débat au sein de l’Union.
Nous avons affirmé face aux doutes de trop de personnes, face aux risques qu’affrontent l’Europe, que l’Union européenne est fondée sur des valeurs irréversibles et universelles. Entre un Royaume-Uni qui nous quitte, une Europe centrale qui doute, des opinions publiques souvent inquiètes, nous devons montrer que l’Europe est une construction de prospérité et de solidarité. De nombreux présidents de chambres parlementaires européens ont signé notre déclaration.
En avril 2016, j’ai mis à disposition des citoyens français une plate-forme d’expression, de doléances et de propositions sur le site de l’Assemblée nationale, qui fut une belle consultation populaire. Les résultats montrent que seule une minorité infime des réponses est explicitement europhobe. Les citoyens ont déclaré être fortement attachés à la liberté de circulation des personnes, qu’ils considèrent comme l’un des principaux avantages de l’Union européenne. Leur deuxième attachement est la mise en place d’une Europe sociale.
Dans les réponses ouvertes, les citoyens ont souhaité que l’Europe se mobilise sur deux sujets: d’abord la mise en place d’une politique étrangère et de sécurité commune, ensuite l’harmonisation fiscale entre les Etats membres et la lutte contre la fraude fiscale.
Donc, les causes de l’euroscepticisme sont claires : les peuples européens ont besoin de voir et de toucher concrètement les effets de la construction européenne. On ne peut pas continuer à leur vendre une Europe qui mutile les services publics et dresse les entreprises contre les services publics, les jeunes contre les retraités, les européens contre les réfugiés, les entreprises contre les fonctionnaires, les investissements contre les austérités. Nos Pères fondateurs nous ont légué un devoir de philosophie, pas un devoir de gestion ou d’économie managériale.
« Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes » disait Jean Monnet, à l’aube de la construction supranationale la plus fascinante de l’Histoire. Les humbles parlementaires que nous sommes, représentants d’un peuple libre, généreux et déterminé, proposent à l’Europe d’être encore plus forte et solidaire, demain qu’hier.
Je vous remercie.