Discours de M. le Président
Izieu, des enfants dans la Shoah, mercredi 16 avril, 18h
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les députés, mes chers collègues,
Madame la Présidente de la Maison des Enfants d’Izieu,
Mesdames, Messieurs,
C’est avec une grande émotion que nous avons l’honneur de vous accueillir ce soir, ici, à l’Assemblée nationale, pour la projection de ce film si attendu, Izieu, des enfants dans la Shoah.
Le Mémorial, les producteurs du film, son réalisateur, ses acteurs, peuvent être fiers ce soir. Ils peuvent être fiers, tout d’abord, pour leur travail accompli.
Un film documentaire, transportant le spectateur au cœur d’une histoire bouleversante, le ramenant au temps présent, lui permettant d’affronter la parole des témoins, des personnes disparues, le confrontant à l’image des bourreaux et des tortionnaires, voilà un travail aussi délicat qu’admirable. Ils peuvent aussi être fiers pour porter, ce soir, ici même, la parole de leur travail, je dirais la promesse de leur travail. Par leur application et leur rigueur, ils réunissent en effet autour d’un moment tragique de l’Histoire de France un grand nombre de personnes dont la sensibilité à cette question se doit d’être exemplaire. Projeter en ces murs ce film sur Izieu, c’est convoquer l’Histoire de France, prendre à témoins ses acteurs, les absoudre parfois, les condamner souvent, s’en souvenir toujours. C’est faire à l’avenir une promesse, la promesse que l’exercice de la souveraineté nationale n’a pas de sens si elle ignore ce sur quoi elle se fonde.
Or, sur quoi se fonde notre histoire parlementaire ? Et quelle promesse le sol français a-t-il trahi ces jours d’avril 1944 ?
Car c’est le sol français qui s’est profané par cet acte immonde, un sol dont tant de nations, pourtant, enviaient la plus universelle des fertilités, la Déclaration des droits de l’homme !
C’était pourtant sur le sol français, au sein de la toute première Assemblée nationale que l’on appelait l’Assemblée constituante, que le député Robespierre a prononcé le 23 décembre 1789 ces paroles magnifiques. C’était une des premières fois au monde que l’on voulait rendre à tous les citoyens de confession juive la dignité, l’égalité et la liberté. Écoutons-le : « rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu, en leur rendant la dignité d'hommes et de citoyens ; songeons qu'il ne peut jamais être politique, quoi qu'on dise, de condamner à l'avilissement et à l'oppression une multitude d'hommes qui vivent au milieu de nous ». C’était en 1789 !
Et pourtant, il y a 70 ans, au cœur de notre si beau pays, un tortionnaire dont nous connaissons tous le visage, Klaus Barbie, investit la colonie d’enfants juifs d’Izieu.
Il arrêta les 44 enfants, les 7 adultes qui les encadraient, et provoqua ainsi le long voyage qui les porta vers la mort.
Miron Zlatin, qui dirigeait la colonie, fut fusillé à Tallinn, en Estonie. Sabine Zlatin, son épouse, vécut heureusement jusqu’en 1996 pour conserver la mémoire de cette tragédie dans l’immense, infinie et insondable grande tragédie que constitue l’histoire de la Shoah.
Cette histoire, vous en connaissez les détails, les espoirs déçus et les silences tragiques. Nous ne pouvons en extraire les faits sans éprouver le désespoir de celle ou celui qui sent qu’il ne parvient pas à en dire ce qu’il faut, à transmettre ce qui convient. La mort à grande échelle, l’assassinat de masse, l’extermination d’enfants, la complicité de la police française, le renvoi à la barbarie, tout est si absolu qu’aucun mot ne le nomme. C’est même un des traumatismes les plus profonds de l’expérience moderne que ce soit une des nations les plus raffinées, les plus philosophiques, les plus musicales, une nation fascinée par la beauté et la douceur de la Grèce antique, de la beauté des mythes, qui sombra ainsi dans la barbarie qu’Izieu incarne.
C’est bien parce que la civilisation la plus raffinée a pu construire l’enfer le plus irrémissible que des moments comme celui de ce soir doivent exister, et toujours perdurer. Aucune délicatesse, aucune pensée ne nous prémuniront contre la barbarie. Rien n’est acquis, jamais. Le combat de la mémoire ne finira jamais, jamais on ne se repose dans la longue aventure de la résistance de l’homme contre lui-même. Partout, l’hydre renaît, partout et toujours, nous devrons l’étouffer. Partout et toujours, nous devrons témoigner, écouter, convaincre et transmettre.
Cette quête aussi sublime que terrible, vous l’incarnez, femmes et hommes qui faites vivre la Maison d’Izieu. Vous l’incarnez, Hélène Waysbord, cette quête que votre récent livre, L’amour sans visage, décrit si bien et si fortement, depuis les quais de gare de la déportation jusqu’au travail au plus près du pouvoir avec François Mitterrand. Vous avez comparé dans une intervention récente le voyage mémoriel aux fresques estompées que l’on voit à Pompéï.
Votre image est saisissante, elle exprime les défis posés au regard et à nos yeux si imparfaits face au gouffre de ce que vous appelez « le puits de l’âme ».
Cette quête, Martin Schulz, le président du Parlement européen, et Aurélie Filippetti, notre ministre de la culture, sont venus ensemble tout récemment en porter témoignage à la Maison d’Izieu, accompagnés, et quel beau symbole, par des élèves des lycées français de Luxembourg, de Bruxelles et de La Haye.
C’est le cœur empli de ce respect, de cette estime, que je vous souhaite la bienvenue ici, dans votre maison, la maison de la souveraineté nationale, et je vous assure que la solidarité et l’ardeur à vous défendre, jamais, ne nous manqueront.
Merci.