Réception des élèves de l'ENA et l'INET

Intervention de Claude BARTOLONE,

Président de l’Assemblée nationale

Réception des élèves de l’ENA et l’INET

lundi 10 février 2014

 

Monsieur le Préfet, directeur des stages de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA),

Monsieur le Directeur adjoint de l’Institut National des Etudes Territoriales (INET),

Mesdames et messieurs les élèves de l’ENA et de l’INET,

Chers amis,

 

* * *

 

C’est un grand plaisir de vous accueillir ici dans la salle des fêtes de l’Hôtel de Lassay à l’issue de cette journée de découverte de l’Assemblée nationale et de formation au droit parlementaire.

Permettez-moi de vous dire quelques mots, en toute franchise, sans langue de bois, sans propos convenus.

En longeant ce grand temple républicain qu’est le Palais Bourbon, vous avez sans nul doute remarqué les statues représentant quatre grands commis de l'Etat.

Ces quatre personnalités historiques veillent sur le monument et rappellent aux députés mais aussi à leurs visiteurs les vertus qui doivent guider l'action politique : L'Hospital le conciliateur, Sully le réformateur, Colbert l'organisateur de l'économie et d'Aguesseau l'unificateur du droit.

Ces statues ne sont pas là par hasard, et vous n’êtes pas là par hasard.

Vous êtes ici réunis car vous êtes à l’aube de votre carrière, que j’espère longue et heureuse, mais surtout parce que vous avez fait un choix.

Ce choix, c’est celui du service public. C’est celui d’une carrière au service de l’intérêt général. Car on ne sert pas l’Etat ou les collectivités territoriales par hasard.

On ne choisit pas de se consacrer au service de ses concitoyens, avec ses grandeurs et ses servitudes, sur un malentendu. C’est d’abord un engagement et une fierté !

Les vertus qu’incarnent les quatre géants que j’ai mentionnés tout à l’heure sont bien sûr toujours d’actualité. Avec nos mots d’aujourd’hui nous dirions qu’ils nous appellent tout à la fois à la concorde nationale, à la réforme de notre pays, au redressement de notre économie et à la primauté de la règle de droit.

Notre pays a bien sûr une Constitution républicaine, la cinquième du nom, adoptée en octobre 1958. Mais nous avons surtout une Constitution morale.

Notre République est une République des valeurs : celles de la Révolution française, celles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789.

N’oubliez jamais qu’au-delà des circulaires ministérielles, au-delà des délibérations des collectivités locales, il y a des principes qu’il vous appartient de faire vivre.

Alors que nos concitoyens se défient quelques fois de la chose publique, que les institutions n’inspirent plus spontanément confiance, alors que l’antiparlementarisme progresse, vous devez plus que jamais être exemplaires.

Il ne s’agit pas de vous transformer en fonctionnaires zélés et tatillons dans l’application d’une norme de droit.

Non, vous devez être exemplaires et confiants dans l’action qui est la vôtre, dans les combats que vous menez, dans le changement que vous impulsez, dans les réformes que vous engagez.

La République mérite que l’on soit ambitieux pour elle et qu’on s’y donne corps et âme.

Ne soyez pas timorés, soyez les grands commis de l'Etat et des collectivités locales que les Français attendent.

Soyez innovants, imaginatifs et constructifs.

Ne vous excusez jamais d’avoir des idées nouvelles pour bâtir le Nouveau Monde de demain.

La deuxième moitié du XXe siècle avait produit de grands serviteurs de la République. Dans des styles très différents, je pense au diplomate humaniste et poète Stéphane Hessel, au préfet aménageur et réorganisateur Paul Delouvrier, au grand juriste René Cassin, mais aussi à Pierre Massé, l’inventeur du Plan.

C’est à votre tour, Mesdames et messieurs les élèves de l’ENA et de l’INET, d’avoir une grande ambition pour votre pays.

Cette ambition prendra différentes formes. Je sais que vous êtes appelés à des champs d’action différents, mais je sais aussi qu’à votre place vous aurez à cœur de répondre aux défis qui se posent à nous.

Car je ne me résous pas au déclinisme.

Non, la France n’est pas finie.

Non, l’Europe n’est pas morte.

Nous avons dans notre pays des ressources formidables.

Nous avons la chance en France, et je pèse mes mots, de disposer d’une administration de très grande qualité. Impartialité, disponibilité, sens aigu de l’intérêt général, notre Administration est un atout pour notre pays. La fonction publique n’est pas un boulet ou une dépense inutile, c’est un levier pour l’action.

En disant cela, il ne s’agit pas de défendre je ne sais quel corporatisme ou privilège. Il s’agit tout simplement de reconnaître que sans Etat et sans collectivités territoriales, sans administration publique, il ne peut y avoir ni croissance, ni solidarité, ni même la plus élémentaire sécurité.

L’effondrement de l’Etat au Mali ou en Centrafique vient nous rappeler cette évidence que certains idéologues ultralibéraux avaient un peu trop vite oubliée.

Permettez-moi d’illustrer mon propos par un exemple auquel je tiens beaucoup : celui de la métropole du Grand Paris.

Depuis des années, les rapports se multiplient pour dénoncer l’aggravation des déséquilibres entre l’Est et l’Ouest parisien, entre la progression d’une grande richesse d’un côté et l’explosion de la précarité de l’autre.

Mon expérience de maire puis de président du Conseil général de Seine-Saint-Denis  m’a donné à voir quotidiennement les grandes difficultés qui résultent de l’absence d’une métropole structurée et pensée au-delà des schémas administratifs largement dépassés.

Pour être compétitifs face à Shanghaï, New-York, Londres ou Berlin, nous devons faire évoluer l’architecture territoriale du Grand Paris et sortir du carcan Haussmanien renforcé par le périphérique. 

Les villes et plus encore les métropoles, sont les moteurs d’une croissance économique qui tient de plus en plus aux services.

Paris constitue pour la France une porte d’entrée unique pour les investisseurs étrangers mais aussi une vitrine remarquable des savoirs-faire et des innovations que peuvent produire les villes du XXIe siècle.

Premier centre de décision politique, administratif, financier du pays, Paris doit faire sa mue pour se redéfinir. C’est tout l’enjeu de la Métropole du Grand Paris

Les questions de logement, d’aménagement, de culture, doivent s’envisager avec un regard nouveau qui fait fi des limites administratives traditionnelles.

On sait qu’en France, entre la parole et les actes, il faut du temps… Avec un grand évènement comme les JO ou l’expo universelle, porté par le Grand Paris, nous pouvons faire en dix ans des projets qui nous auraient pris 40 ans.

Ne nous en privons pas !

Alors bien sûr, vous trouverez toujours sur votre route des esprits chagrins et des défenseurs du statut quo.

Ne vous laissez pas impressionner.

Ils ont la force des habitudes, mais avez la passion et  l’enthousiasme de la Jeunesse.    

Sur le Grand Paris, avec quelques autres députés, nous avons pensé qu’il fallait agir. Agir vite, agir avec doigté bien sûr, mais agir avant tout.

« Il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! » disait Danton quelques jours avant la bataille de Valmy. Voilà ce qui doit être notre programme collectif pour les années à venir !

*

Mesdames et messieurs, c’est un grand plaisir de rencontrer, dans la maison de la République, ceux qui sont appelés à devenir dans les années à venir les managers de notre administration publique, qu’elle soit étatique ou territoriale. Et c’est un plaisir de vous rencontrer ensemble.

Et j’insiste sur ce mot : ENSEMBLE.

En effet, ENA-INET, Etat-Collectivités locales, Parlement-Gouvernement…  notre pays a le don pour créer des antagonismes là où il ne devrait y avoir que des partenariats.

Dans mon esprit, il n’y a pas d’un côté l’Etat et de l’autre côté les collectivités territoriales.

Nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous au service de nos concitoyens, au service de l’intérêt général.

Le temps est fini où un haut fonctionnaire parisien pouvait décider seul des projets d’infrastructures et sans aucune prise en compte des réalités du terrain.

Plus aucune politique publique efficace ne peut être mise en œuvre sans le concours des collectivités territoriales. Et d’ailleurs, très peu de politiques publiques sont aujourd’hui conduites exclusivement par tel ou tel acteur institutionnel.

C’est par un partenariat fort entre l’Etat avec les collectivités que nous pourrons avancer sur les emplois d’avenir, le logement social mais aussi en matière d’éducation, d’environnement ou de nouvelles technologies.

Je tiens à cette occasion à rendre un hommage appuyé au corps préfectoral qui fait un métier difficile, mais qui pourtant tient bon dans les tempêtes médiatiques, économiques et sociales que nous connaissons régulièrement.

L’Etat et les collectivités territoriales doivent donc agir de concert en faisant prévaloir les logiques de responsabilité et de solidarité : responsabilité d’un État centré sur ses missions et qui ne transfère pas impunément des charges publiques, responsabilité des collectivités locales, financièrement autonomes, mais qui doivent participer à leur mesure à l’effort de redressement des comptes de la Nation.

* * *

Pour conclure, notre ambition collective pour la France doit être grande.

C’est le moins que l’on puisse faire pour son pays lorsqu’on est parlementaire.

Votre responsabilité en tant que futurs hauts fonctionnaires l’est tout autant. Le sens de l’Etat et du service public n’est pas de gauche, il n’est pas plus de droite.

Il est simplement ce qui fait le ciment de cette belle Nation qui est la nôtre.

Pardon d’avoir été peu long, mais ce n’est pas tous les jours qu’on a l’extraordinaire opportunité de s’exprimer devant l’avenir de son pays.

Mesdames et messieurs les élèves de l’ENA et l’INET, je sais pouvoir compter sur votre enthousiasme et votre détermination.

Par avance, je vous remercie pour l’action qui sera la vôtre dans les années à venir.