Réception des parlementaires étrangers des pays alliés dans le cadre des cérémonies de commémoration du débarquement

Discours Cérémonie pour le Débarquement
Jeudi 5 juin 2014 à 12h30
Hôtel de Lassay

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les parlementaires américains,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les anciens combattants,
Mesdames, Messieurs,

Bienvenue à l’Assemblée nationale française. C’est un grand honneur, pour mes collègues et moi, de vous recevoir aujourd’hui.

« Messieurs, demain matin à 5 heures, les troupes alliées débarqueront entre Caen et le Cotentin. La première patrouille de couverture décollera de cet aérodrome à 4 h 30 du matin ». Nous sommes le 5 juin 1944, il est 7 heures du soir. Ces mots-là, un jeune pilote français les entend de la bouche de son commandant sud-africain, Sailor Malan, un héros de la bataille d’Angleterre puisqu’il avait réussi à abattre 32 appareils nazis au-dessus du ciel britannique.  

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Les pilotes, comme les soldats de l’infanterie, comme les conducteurs de blindés, jouaient aux cartes, s’entraînaient, se racontaient leurs histoires, se montraient les photos de leurs femmes, de leurs enfants.

Ils se communiquaient leur haine du fascisme, leur fierté de participer à la plus vaste opération militaire de tous les temps. Ils se sentaient Achille, ils se sentaient Ulysse.

Il manquait un Homère. A 7 heures du soir, ils ont interrompu leur partie de cartes. L’armée rouge, à l’Est, avait montré la voie du sacrifice avec Stalingrad. Désormais, c’était leur tour. L’Histoire et la gloire les appelaient.    

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A Bayeux, la première ville française libérée, à quelques kilomètres de la plage d’Arromanches, une célèbre tapisserie du XIème siècle, chef d’œuvre médiéval monumental, illustre le grand précédent du Débarquement, dans l’autre sens, par Guillaume le Conquérant, en 1066. Dans les bateaux, les chevaux rient.

Le 5 juin 1944 au soir, une fois sur l’eau, les soldats, si insouciants quelques minutes avant, ne rient plus. Ils sont concentrés, ils sont serrés, beaucoup ont le mal de mer. La souffrance de la guerre est déjà là. Dans quelques heures, cette souffrance sera transfigurée en vaillance.          

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Et il en fallut de l’héroïsme, pour supporter les feux des batteries nazies,  celles de Longues, celle de Morsalines, celle de Quinéville, celle de la Pernelle, celle de la Pointe du Hoc. On les voit encore sur les côtes normandes, ces prodiges de fonte, de fer, le canon pointé sur l’horizon comme un défi posé à toutes les puissances de la liberté. Aujourd’hui, le bocage normand invite le visiteur à la rêverie. La poésie des arbres a remplacé l’épopée de la mitraille, mais vous, mais nous, nous nous souvenons.    

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A ces colosses de ferraille, les Alliés répondront par des miracles technologiques de légèreté, de mobilité et de ruse.

Hérodote nous raconte que les armées perses cachaient le ciel de leurs flèches. Qu’à cela ne tienne : sous leurs embarcations, vos aînés ont caché la mer.

A Arromanches, en quelques heures, le port Mulberry surgit des entrailles des flots, ces milliards de tonnes de caissons fabriqués à Portland et à Southampton, qui traversèrent la Manche à 60 km/h. En quelques heures, les plages devinrent des ports à blindés, les villages des appuis pour l’infanterie, les clochers des églises devinrent des tours d’abordage, la Normandie, le départ pour les Champs-Elysées. Le Débarquement, c’est d’abord la première étape de l’épopée de ceux qui, jamais, n’ont douté un instant. Derrière eux, il y avait le monde en suspens.

Devant eux, la barbarie et la mort. Et ils marchaient, ils marchaient, avec, à la semelle de leurs souliers, cette chose indéfinissable qu’on appelle la liberté.

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Ces héros ne comptèrent pas leurs morts. Le 6 juin, à minuit, les alliés déploraient déjà 10 500 tués, les allemands 10 000.

Les Alliés, qui étaient-ils ? C’était d’abord vous, M. le représentant Ralph Hall. Vous étiez en 1944 lieutenant pilote dans la US Navy, dans le Pacifique, de l’autre côté de la terre, mais du même côté de la liberté.

Je suis très honoré, aujourd’hui, de pouvoir vous rendre hommage au nom de la représentation nationale française.

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C’étaient vous, chers vétérans de l’armée américaine, Sherwin Callander, Robert Hall, Leo Cohen, Jim Clermont, Richard Bailey, Paul Roberts, Dan Pinck, Stanley Mizereck, John Pellegren, James Walker, John Polgar, Dan Jarczynjki.

C’étaient vous aussi, chers Résistants antillais et guyanais, dont le rôle dissident contre le pouvoir de Vichy est de plus en plus reconnu par l’Histoire, vous, Jeanne Catayée, Salinière Ségor, Léopold Léon, Rémy Oliny, Alexandre Lepasteur, Eugène Jean-Baptiste. C’étaient, peut-être, les pères et grands-pères de certains d’entre vous ; ce qui est sûr, c’est que nous tous ici, nous sommes leurs enfants.     

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L’union des nationalités qui égaye notre réunion aujourd’hui reflète celle de juin 44.

Les 85 000 Britanniques et Canadiens, les 73 000 Américains, les Polonais, les Belges, les Tchécoslovaques, les Néerlandais, les Norvégiens, épaulaient les Français, leur faisaient ressentir que cette terre que l’on allait fouler, c’était la terre d’une planète outragée, blessée dans son idéal, un idéal qui ferait, encore une fois, mentir la fatalité. Ils étaient 200 000.  

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Au même moment, quelques kilomètres plus loin, dans l’église Saint-Étienne de Caen, le curé rassemble des familles entières sous le clocher. Pourquoi le clocher ? Parce qu’il le juge plus solide que la nef, trop exposée aux bombes.

Des croix rouges, géantes, sont peintes sur les bâtiments pour indiquer aux avions alliés les endroits où les civils se rassemblent. Partout en Normandie, on se prépare au déluge. On se souvient trop rarement que le Débarquement, ce n’est pas une nuit, ce ne sont pas quelques heures, ce sont trois mois, de juin à fin août 1944.

Ces trois mois que l’Histoire a retenus comme la Bataille de Normandie, trois mois de guérilla, de feu et de sang qui laissèrent des villes entières en ruine, Caen, Lisieux, Vire, Le Havre.

Ces trois mois, les normands survivants nous en racontent les péripéties, ces longues semaines où, parfois, on se bat pour une colline, pour un marais, pour un faubourg.

On se bat dans la douleur mais aussi dans l’espoir, l’espoir que cela finisse, enfin, qu’on sorte de cet enfer qui dure depuis cinq ans.

Ils se rappellent que des milliers de civils ont disparu durant ces trois mois, ils se rappellent des sauts dans les tranchées à l’approche du bruit d’un moteur d’avion, des maisons éventrées, des caves pleines de familles entières qui attendent la fin du sifflement des sirènes.

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70 ans plus tard, plusieurs parlementaires des deux rives de l’Atlantique ont voulu suspendre leurs travaux quotidiens, leurs travaux de temps de paix, pour se souvenir et rendre un hommage exceptionnel.

Je tiens à saluer ici très amicalement la première vice-présidente de l’Assemblée nationale Laurence Dumont, députée de ce Calvados si héroïque, à l’origine de cette Résolution commune avec le Sénat des États-Unis exprimant la gratitude et la reconnaissance de l’Assemblée nationale pour les actes d’héroïsme du Débarquement.

Ce titre, à la fois si sublime et si grave, fait surgir l’Histoire dans nos enceintes, rappelle ce que d’autres, avant nous, surent trouver au fond d’eux-mêmes pour que vivent nos valeurs.

Des valeurs que le peuple allemand après la guerre sut défendre tout de suite de manière remarquable en s’engageant tout entier et sans retour, après la défaite des nazis, dans l’aventure historique du couple franco-allemand et dans la construction européenne.   

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Car de quoi s’agit-il, finalement, 70 ans plus tard ? Pourquoi sommes-nous réunis ici ?

Que ressentirons-nous demain, face à la Manche, qu’est-ce donc que ce sentiment mêlé de gratitude et d’effroi, d’enthousiasme et de peur ? Nous verrons le sable immaculé des plages que l’on nomme en votre honneur, encore aujourd’hui, Utah, Omaha, Sword, Juno, ce sable jadis englué de boues, de sang, d’éclats et d’aciers.

Nous verrons cette mer qu’Eisenhower traversa comme jadis Jules César traversa le Rubicon, avec la conscience que plus jamais, rien ne serait pareil.    

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Rien n’a été pareil, car les vivants et les survivants avaient une responsabilité, et c’est cela que nous célébrons, que nous affirmons aujourd’hui, c’est notre responsabilité.

La responsabilité de maintenir la paix, bien sûr. La responsabilité de ne jamais céder aux sirènes du fascisme, à la facilité de transformer une société en ensembles de régiments passifs, à l’abdication de l’individu devant les illusions des tyrans.

La responsabilité, surtout et enfin, de préserver, à chaque minute, ce que les Alliés ont apporté sur cette terre, sur ce sable, et qu’ils scellèrent de leur sang : la promesse d’un monde libre. C’est ce qui rend la bataille de Normandie si singulière dans l’Histoire.   

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Cette bataille n’avait pas l’odeur de la conquête. Elle n’avait pas l’odeur d’un désir d’empire, de dépouilles et de butin. Elle avait l’odeur simple et sublime de la liberté. Cette odeur que La Fayette alla chercher sur vos terres, Mesdames et Messieurs les parlementaires des États-Unis, avec une partie de la jeunesse française de l’époque.

Cette odeur que les révolutionnaires français traînaient après eux à Valmy et à Fleurus.    

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Les GI’s avaient des obus et des fusils, mais ils avaient aussi Roosevelt et le New Deal, les Britanniques avaient des avions et des canons, mais ils avaient aussi Beveridge et l’Etat Providence.

Les Résistants avaient des grenades et leur immortelle guérilla, mais ils avaient aussi le Conseil national de la Résistance, sa Sécurité sociale et ses réformes sur le temps de travail, l’énergie, les infrastructures et l’éducation. Bref, ces soldats couraient à la mort sur cette plage pour réveiller un continent, lui intimer l’ordre de ne plus jamais désespérer puisque désormais, les peuples sauraient ce qu’ils voudraient. Ils ne voudraient plus mourir, ils ne voudraient plus souffrir, ils voudraient la démocratie, des routes, des hôpitaux et des écoles pour tous. Et cela marcha !    

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La paix de l’Europe résulte de cette ardeur de solidarité autant que de la prospérité ou de la sécurité collective. Les peuples sont invincibles quand ils portent la promesse de la fraternité.

Car si leurs ennemis se battent pour leurs chefs, eux se battent pour eux-mêmes. Si leurs ennemis se battent pour un homme isolé, eux se battent pour des milliers d’enfants à naître.

70 ans après cette nuit qui fit fondre sur la France un orage d’acier, retrouvons la force de défendre, aujourd’hui, demain, après-demain, partout où portent nos voix, le désir de justice qui débarqua, un matin de printemps, sur les côtes de notre pays.    

Merci à tous.