Remise du prix de la distinction numérique de l’INA à Louis Schweitzer

Distinction numérique INA remise à Louis Schweitzer
17 octobre 2014 - Mondial de l'Automobile, hall 8

 
Madame la Présidente-directrice-générale,
Mesdames, Messieurs,
Cher Louis Schweitzer,

Cher Louis, voici un Ipad. Jusque-là, rien d’exceptionnel.  L’Ipad est aujourd’hui aussi commun que la toge à Rome ou le pinceau à la Renaissance, c’est le minimum vital de l’époque. Mais c’est un Ipad très spécial. Cet Ipad est une enluminure, vous savez, ces bandes dessinées du Moyen-Age où l’on contemplait, à partir de la vie d’un haut personnage ou d’un saint homme, la vie de toute une époque. Dans cet Ipad, il y a les Très Riches Heures de Louis Schweitzer, tous ses passages média, tous ses entretiens filmés ou radiophoniques, un véritable voyage à travers ses responsabilités,  chez Renault, à la Halde, en tant que Président d’Initiative France, en tant que Commissaire général à l’investissement.

Les Très Riches Heures de Louis Schweitzer, ce sont 17 heures et 24 minutes exactement, à travers 83 apparitions sur les différents supports audiovisuels, 61 télévisées et 22 radiophoniques. 7h24 de télévision et 10h de radio. On vous voit tout jeune directeur de cabinet de Laurent Fabius en 1984, fringant et plein d’avenir.

Vous avez toujours plein d’avenir aujourd’hui, en plus, c’est le privilège de l’expérience, d’être aussi plein de passé, et de passé glorieux.

Pourquoi cette distinction, et que distingue-t-on justement ?

Parce que, à vous seul, vous êtes devenu un patrimoine. Un patrimoine audiovisuel. Parce que, à travers ces images, ces entretiens, vous avez fait œuvre de pédagogie, de transmission, de partage. Parce que vos discours et vos témoignages prennent source dans une vie passionnante, à la confluence de la politique, de l’administration, de l’industrie, de la médiation et de la création d’entreprises. Parce que, contrairement à de nombreux responsables politiques et économiques de votre génération, de notre génération, vous n’avez pas exalté le privé contre le public, ou le public contre le privé. Vous n’avez pas regardé avec condescendance les « vils traitants » du haut de votre ministère des finances, et vous n’avez pas méprisé « l’archaïsme » ou je ne sais quelle « pesanteur » de l’administration et de l’État du haut de vos sièges sociaux qui ne sont rien sans l’action, justement de l’Etat, de la politique économique, de la politique fiscale, et des services publics. Vous n’avez jamais construit de paravent, encore moins de mur, entre les hommes. Vous avez construit des ponts entre les secteurs, et c’est ce que nous célébrons aujourd’hui.

Mais venons-en à aujourd’hui. Nous sommes, en ce vendredi, au cœur d’un événement prestigieux, au salon mondial de l’Automobile, dont je salue chaleureusement les organisateurs et les responsables, événement populaire, profondément ancré dans l’imaginaire des Français depuis des décennies. Le monde de l’automobile, vous l’avez marqué Louis Schweitzer. Vous l’avez non seulement marqué par vos éminentes fonctions en son sein, puisque vous avez dirigé Renault longtemps, de 1992 à 2005. Vous l’avez marqué en accompagnant les grandes transformations de l’industrie automobile française vers le respect des contraintes de la transition énergétique, des villes propres et de la croissance verte.

C’est grâce aux inlassables efforts des travailleurs de l’automobile de ces années qu’aujourd’hui, nous pouvons admirer dans ces couloirs, dans ces halls d’exposition, des modèles et prototypes saisissants, des voitures hybrides rechargeables et ces berlines qui pourraient, si j’ai bien compris, consommer moins de 2 litres d’essence au 100 kilomètres.

Je reviens à vous. Vous avez permis aux Français de se déplacer, vous leur avez ensuite appris à se défendre.

Vous avez en effet dirigé entre 2005 et 2010 la HALDE, cette Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, qui est désormais intégrée dans les missions du Défenseur des droits. C’était un défi intéressant, car inédit.

Nous n’avions guère l’habitude, en France, d’utiliser cette faculté de médiation, d’étude, de surveillance et d’enquête. La France est un pays de grands philosophes et de grands avocats. Entre le monde de l’idée et le monde de la justice, nous n’avions pas encore expérimenté cette forme de promotion de nos idéaux à travers ces saisines, par les victimes ou par l’organisme lui-même, des cas de discrimination. Une sorte d’hommage que la balance rend au glaive.

Cette nouvelle forme d’action a convaincu. L’actuel Défenseur des droits en est l’héritier, et il est devenu, désormais, aussi incontournable et évident que les institutions les plus anciennes et les plus vénérables.

Bien entendu, vous n’avez jamais abandonné la vie économique, en veillant, l’œil scrupuleux, de manière collégiale, au destin de sociétés et d’établissements publics, et en présidant Initiative France, plate-forme connue et efficace de soutien à la création d’entreprises.

Jusqu’à assumer vos fonctions actuelles de Commissaire général à l’investissement, mission qui a désormais fait ses preuves.

L’investissement naît d’un savant dosage d’audace et de raison, de prudence et de fulgurance. C’est ce qu’il ne faut jamais abandonner en temps de finances dégradées, c’est l’équivalent, en temps de paix, des offensives des temps de guerre.

C’est ce qui rend la victoire économique possible, c’est ce qui rend possible le retour de la croissance, c’est ce qui permet à l’espérance populaire de ne pas s’éteindre, c’est le plus grand démenti opposable aux déclinologues et aux donneurs de leçons millénaristes. Investir, c’est faire taire les obscurantistes zélateurs d’un pseudo suicide français, qui se sont, dans toutes les époques et sous toutes les contrées, acharnés à ne voir dans la lumière du soleil qu’un crépuscule, et jamais une aurore, et jamais un zénith, et jamais rien d’autre que le reflet de leur noirceur. Crier à la fin du monde est encore le meilleur moyen de se faire entendre. Vous avez, cher Louis Schweitzer, vous qui ne criez jamais, vous qui avez la voix douce des vraies influences, des vrais constructeurs, des vrais optimistes, la charge de montrer qu’investir c’est construire, c’est bâtir, c’est faire jaillir, c’est ne jamais mourir.

Directeur de cabinet ministériel, dirigeant d’entreprises, médiateur, défenseur, investisseur. Notre pays a besoin de synthèses, de concentration, de dénominateur commun. Cette force de synthèse que vous incarnez. Cette force tranquille qui vient de loin, et d’abord de votre famille.

Tout le monde connaît votre grand-oncle, le grand médecin Albert Schweitzer. Comment ne pas en parler quand on parle de vous, tant il a marqué des générations d’humanistes, de médecins, de travailleurs humanitaires et…et… de musiciens !

Encore aujourd’hui, son livre sur Bach, JS Bach, musicien poète fait référence, et notamment un chapitre célèbre, un chapitre sur l’amabilité et la modestie du grand compositeur, où l’on trouve les lignes suivantes : « N’allons pas croire que Bach avait mauvais caractère. La susceptibilité farouche dont il faisait preuve dès qu’il croyait son indépendance menacée, n’empêchait point qu’il fût d’un commerce fort agréable. Les témoignages sont unanimes sur ce point. C’est, par-dessus tout, un homme droit, incapable d’une injustice. Aussi, son impartialité n’était-elle contestée par personne. Bach était plus qu’impartial : il était bienveillant. Jamais il ne cessa de rester digne, même en écrivant à des rois ». 

Comment ne pas croire, cher Louis Schweitzer, que ces lignes n’aient point infusé, n’aient point modelé une part de votre conscience, une part de vous-même, pour faire exactement ce que vous êtes. Vous avez connu les rois de l’époque, des présidents, des ministres, des PDG, des grands décideurs. Or, ils se sont souvent trompés, ces puissants. Je ne crois pas que vous ayez jamais hésité à le leur dire. Et j’ai l’intuition de croire que, quand on assume une responsabilité, il est parfois de grande sécurité de savoir distinguer les femmes et les hommes qui n’ont pas peur de vous dire où il faut aller, que cela vous plaise ou non.

C’est après ces quelques mots, que nous avons l’honneur, Agnès Saal, PDG de l’Institut national de l’audiovisuel et moi-même, de vous remettre la Distinction numérique.