Monsieur le Président, cher Denis Jacquat,
Monsieur le Rapporteur, cher Alexis Bachelay,
Monsieur le préfet,
Monsieur le consul,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Voilà plus de six mois, les habitants de la résidence Hector Berlioz de Bobigny nous ouvraient leurs portes, avec chaleur et hospitalité. Ils nous font le plaisir d’être parmi nous aujourd’hui. Je tiens à les en remercier.
Avec une grande simplicité, vous nous avez accueillis chez vous. Vous nous avez fait visiter votre foyer, le premier foyer pour travailleurs immigrés construit en 1959, dans ce département qui ne s’appelait pas encore la Seine-Saint-Denis.
Autour d’un thé, vous nous avez confié avec pudeur et gentillesse, une partie de votre histoire et de votre vie.
Vous nous avez raconté comment à l’invitation des entreprises françaises, vous aviez quitté il y a plus de 50 ans le pays de votre enfance.
Comment pendant des dizaines d’années, vous aviez travaillé en France, dans ses usines ou sur ses chantiers. L’un d’entre vous comme conducteur d’engins dans le bâtiment – et cela pendant près de quarante-deux ans –, l’autre dans l’automobile, un autre dans les hauts fourneaux, un dernier dans l’éclairage public…
Vous nous avez expliqué comment de passage dans ce pays, vous ne l’aviez, en définitive, jamais quitté.
Comment vous vous êtes attaché à cette terre. Et combien elle est devenue une partie de vous-même et de votre vie. Tant et si bien, que lorsque vous rentrez dans votre village natal, vous êtes bien souvent saisi d’un étrange mal du pays.
A travers cet échange, nous avons compris à quel point votre situation pouvait parfois relever du paradoxe.
Considérés ici comme des immigrés, on vous dit là-bas que vous êtes de simples touristes…
A cette situation, à ce déchirement, le grand sociologue Adbelmalek Sayad a donné un nom : la « double absence ».
Ce terme ne traduit sans doute pas la réalité exacte de vos parcours respectifs – tant ceux-ci sont singuliers.
Mais il nous rappelle que longtemps vous avez été invisibles aux yeux de la République.
***
Aujourd’hui, la République ouvre ses yeux. Quand l’Assemblée nationale vous ouvre ses portes.
Elle ne le fait pas pour satisfaire une demande. J’ai d’ailleurs été frappé, lors de nos échanges, de voir à quel point vous n’osiez émettre la moindre exigence.
Votre fierté méditerranéenne – à laquelle je ne suis pas insensible ! – n’est sans doute pas étrangère à ce comportement.
Mais en vérité je vous le dis : si l’Assemblée nationale vous ouvre ses portes, c’est avant tout parce qu’elle a besoin de vous.
Parce que notre pays n’est fort, que lorsqu’il assume qui il est. Que notre pays n’est uni, que lorsqu’il assume comment il s’est construit. Que notre pays n’est fier, que lorsqu’il honore ses pères.
Si j’ai proposé à la conférence des Présidents de l’Assemblée nationale de créer cette mission d’information, c’est pour toutes ces raisons.
D’abord, bien évidemment, pour que les personnes âgées immigrées qui ont tant contribué à la construction de notre pays au cours des Trente Glorieuses, puissent vivre désormais dans des conditions dignes.
Ensuite, pour que tous les Français, qu’ils soient ou non issus de l’immigration, puissent être certains que leurs parents sont bien traités, que leur pays veille sur eux. Que leur pays garde en mémoire tout ce qu’ils ont fait pour lui.
Enfin, cette mission c’est pour moi une manière de rappeler à quel point la question du vivre ensemble est une question essentielle ; l’un des plus grands défis que notre pays doit relever.
Pour répondre à cette question, notre Assemblée doit la reprendre à la base, en repartant des premières générations, et en s’appuyant sur elles.
Car les personnes âgées jouent un rôle essentiel dans la transmission des savoirs, dans la transmission des valeurs, dans la vie d’un quartier. Et cela quelle que soit leur nationalité. Elles apaisent et enseignent. Elles offrent aux jeunes un modèle. Et imposent à tous le respect.
Voilà les raisons qui m’ont conduit à proposer la création de cette mission. Voilà les raisons pour lesquelles nous sommes réunis aujourd’hui.
***
Six mois plus tard, je ne peux que me féliciter du travail accompli. Celui-ci est remarquable, à plus d’un titre.
Ce travail, nous le devons aux députés de la majorité comme de l’opposition qui ont travaillé au sein de cette mission. Qu’ils en soient ici sincèrement remerciés.
Oui, le travail que vous avez accompli est remarquable.
Sur la forme, tout d’abord.
Pendant plus de six mois, vous n’avez cessé d’écouter. Vous avez auditionné plus d’une centaine de personnes, et effectué de nombreux déplacements en France et à l’étranger. Vous avez rencontré l’ensemble des acteurs concernés : associations, administrations, ambassades, collectivités, universitaires, chercheurs, agents travaillant au quotidien dans les foyers auprès de personnes immigrées âgées…
Beaucoup d’entre eux sont présents aujourd’hui. Pour leur engagement au quotidien et pour le temps qu’ils nous ont consacré, je tiens également à leur adresser, au nom de notre Assemblée, mes plus sincères remerciements.
Pendant plus de six mois, vous n’avez cessé de débattre et de dialoguer. Sans tabou, ni arrière-pensée. Vous avez su travailler de manière collégiale, au sein d’une mission qui dans sa composition, reflète la configuration politique de notre assemblée.
J’ai d’ailleurs une pensée toute particulière pour Denis Jacquat qui, par la grande qualité de sa présidence, a permis à cette mission d’avancer de manière constructive et apaisée.
Mais le travail accompli est aussi remarquable sur le fond ; il suffit de regarder votre rapport pour le constater. Permettez-moi, à ce titre, de féliciter Alexis Bachelay, pour son engagement, et le travail de grande qualité qu’il a réalisé.
***
Dans ce rapport, adopté à l’unanimité, vous nous rappelez à quel point la situation est urgente. Que l’espérance de vie des personnes immigrées âgées est largement inférieure à celle du reste de la population. Que ces personnes sont confrontées à des problèmes de santé plus précoces, liés aux métiers pénibles qu’ils ont exercés.
Vous nous rappelez combien la situation des femmes immigrées vieillissantes est particulièrement inquiétante, notamment pour celles dont le conjoint est décédé.
Dans ce rapport, vous tordez le coup à des idées reçues qui font le bonheur du populisme. Non les immigrés âgés n’abusent pas des droits sociaux auxquels ils ont accès. Non ils n’abusent pas des services de santé. Bien au contraire. Alors qu’ils rencontrent davantage de problèmes de santé que le reste de la population, ils consultent trois fois moins le médecin que les personnes nées en France.
Non la politique en faveur des immigrés âgés n’est pas une politique coûteuse. Comme vous le montrez, c’est une politique ciblée dont les effets seront extrêmement positifs pour l’ensemble de notre société.
Mais surtout dans ce rapport vous faites des propositions : 82 propositions.
Certaines d’entre elles nécessiteront du temps pour être mises en œuvre. C’est évident.
Certaines devront, à l’inverse, être rapidement adoptées.
Car il n’y aurait rien de pire que de décevoir les espoirs que cette mission a suscités.
Plusieurs ministres ont pris devant vous des engagements forts. Nous veillerons à ce que ceux-ci soient pleinement respectés.
Vos propositions viendront également nourrir de prochains amendements. Notre Assemblée pourrait ainsi soumettre, à l’occasion de l’examen du futur projet loi relative à l’immigration, un amendement visant à faciliter l’accès à la nationalité française, pour toutes les personnes immigrées dont les enfants sont français, et qui résident depuis plus de vingt ans sur le territoire.
Bien sûr le travail est loin d’être terminé. Mais je fais pleinement confiance aux députés présents ici dans cette salle, pour faire en sorte, que les recommandations de ce rapport deviennent, un jour, une réalité.
En attendant une chose est sûre : cette mission est d’ores et déjà un succès.
Elle reflète à elle seule, ce que peut notre Assemblée.
***
Nous connaissons tous ici le visage de l’antiparlementarisme. Le climat actuel lui est d’ailleurs propice.
Nous connaissons tous ici les critiques dont notre Assemblée fait l’objet, et qui tendent à faire croire que celle-ci ne serait que la simple chambre d’enregistrement des décisions du gouvernement.
Je crois qu’une mission d’information comme celle-ci, est la meilleure réponse à toutes ces critiques.
Voilà ce que fait l’Assemblée nationale.
Oui, l’Assemblée nationale, vote la loi de la République. Mais chose que l’on sait moins, elle contrôle et évalue également les politiques publiques. Elle fait progresser les connaissances. Elle fait bouger les lignes.
L’Assemblée nationale, met à l’ordre du jour des sujets dont le gouvernement n’avait pas prévu de se saisir.
Elle l’interpelle.
C’est en répondant à votre mission, que la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine s’est engagée à prendre, d’ici la fin d’année, les décrets d’application de ces fameuses dispositionsde la loi relative au droit au logement opposablequi concernent directement les immigrés âgés. Dispositions votées il y a plus de 6 ans à l’unanimité, sur proposition de Jean-Louis Borloo dont je souhaite ici saluer l’action.
C’est en répondant à votre mission, que la ministre du logement, Cécile Duflot s’est engagée à ce que le futur projet de loi sur le logement veille à lutter contre la précarité de l’habitat des immigrés âgés.
C’est en répondant à votre mission, que le ministre délégué à la ville, François Lamy, s’est engagé à encourager les municipalités à favoriser la mise en place de « carrés musulmans à l’intérieur des cimetières », dans le respect du principe de laïcité.
Voilà ce que fait l’Assemblée nationale. Voilà ce que peut notre Assemblée.
***
Au moment où je m’apprête à céder la parole à Denis Jacquat, qu’il me soit permis de vous dire, une dernière fois, à quel point le sujet que nous abordons aujourd’hui est pour moi essentiel.
Car ne nous y trompons pas. Ce dont nous parlons aujourd’hui ce n’est pas de l’ « étranger ». C’est de la France et de son histoire.
Et de la lente émergence d’une mémoire partagée.
Regardez : il en aura fallu du temps, pour que notre pays rende hommage à tous les soldats étrangers qui se sont battus en son nom.
Ces militaires venus d’ailleurs, qui étaient prêts à mourir pour la France, ses valeurs et ses habitants.
Ces soldats qui, plusieurs fois dans l’histoire, sont venus au secours de ce pays, que cela soit à Bir Hakeim ou sur les plages de Provence.
Ces soldats que nous avons trop longtemps oubliés.
Eux qui avaient tant donné pour faire triompher les valeurs de la République.
Une partie de ces hommes sont présents, aujourd’hui, dans cette salle.
Immigrés et âgés pour beaucoup d’entre eux, ils connaissent bien souvent les difficultés que nous venons d’évoquer.
Au nom de la République, au nom de la représentation nationale, je souhaite une fois encore, leur rendre hommage.
Oui il aura fallu du temps pour que notre pays leur rende hommage.
De même il faudra sans doute du temps pour que notre pays rende pleinement hommage à tous ces hommes et ces femmes qui ont offert à la France, leurs bras, leur énergie et leur jeunesse.
Mais quand je vous vois tous réunis, ici, je me dis que les choses sont en train de changer.
Et que demain la France sera encore plus belle qu’elle ne l’était hier.
Car elle est belle la France quand elle assume son histoire et ses valeurs.
Elle est belle la France quand elle est fière d’elle-même et de ses enfants.
Elle est belle la France quand elle honore ses pères.
Voilà ce qui fait la force de cette mission.
C’est qu’au fond, elle nous parle de nous-même.
C’est qu’au fond, elle nous rappelle comment nos pères et nos mères ont, ensemble, bâti ce pays, immeuble par immeuble, quartier par quartier, ville par ville.
En racontant cette histoire, sans arrière-pensée, sans rancœur, notre pays devient simplement un peu plus ce qu’il est. Et ce qu’il a toujours été.
Alors oui,
Vive la République et Vive la France