Discours d’ouverture du colloque « Service civique : aller plus loin dans l’engagement »
A l’occasion du 5ème anniversaire du Service civique
Lundi 9 mars, Salle Victor-Hugo
Monsieur le président, cher François,
Monsieur le directeur général, cher Martin,
Monsieur le directeur de l’INJEP,
Mesdames et messieurs,
C’est avec un très grand plaisir que je vous accueille ce matin à l’Assemblée nationale pour célébrer, à l’occasion de ce colloque, les 5 ans du Service civique.
Quel symbole de nous retrouver pour cette occasion dans la salle Victor Hugo, ce géant indigné, ce combattant résolu et intransigeant de la République !
Le service civique est né, en effet, d’un besoin de République.
Lorsque le président Chirac a décidé la suspension du service national obligatoire et donc, en premier lieu, du service militaire, c’était certes parce que nos armées devaient changer de format mais aussi parce que le service national ne remplissait plus alors cette fonction de creuset républicain que mettent aujourd’hui en avant ceux qui le regrettent.
Il ne remplissait plus cette fonction parce que toute une partie de notre jeunesse n’y trouvait aucun sens, le considérait comme une contrainte et cherchait à s’y dérober, d’une façon ou d’une autre.
A cette époque, les formes de service civil – par plusieurs traits, les ancêtres de l’actuel engagement de service civique – étaient ainsi totalement discriminantes puisque largement réservées aux diplômés.
C’est parce que ce service national apparaissait aux Français en décalage total avec son essence républicaine qu’il a pu disparaître en même temps qu’était décidée la professionnalisation de nos armées.
Dès la disparition du service militaire, ont ainsi émergé de nombreuses initiatives, destinées à favoriser les différentes formes d’engagement volontaire.
Mais sans statut, sans valorisation, bref, sans réelle reconnaissance, elles n’ont pas connu le succès attendu. Nous avons collectivement échoué, c’est vrai, à mettre en place un véritable service civil et volontaire, lors de la fin de la conscription.
Depuis que le Président de la République m’a confié une mission de réflexion et de proposition sur l’engagement citoyen et l’appartenance républicaine, je constate les nombreux parallèles entre les débats d’il y a 10 à 15 ans et ceux d’aujourd’hui.
Preuve que nous n’avons que partiellement répondu aux enjeux : c’est d’ailleurs le sens de vos travaux ce matin : comment aller plus loin dans l’engagement citoyen avec le Service civique ?
Les principaux points communs sont à mes yeux le contexte dans lequel se rouvre le débat et le fait qu’il soit rapidement, trop rapidement d’ailleurs, ramené à l’alternative volontariat ou obligation.
Il y a 10 ans, ce sont les émeutes urbaines qui ont placé au cœur du débat public la question d’un véritable service civil.
Ce sont les partisans d’un service obligatoire d’ailleurs, je pense à Max Armanet, Edgar Morin, Stéphane Hessel ou Germaine Tillon, qui ont lancé ce débat et qui ont, rapidement, obtenu le soutien de 400 parlementaires et de 10 000 citoyens.
Parce que le service civil mis alors en place est apparu rapidement comme insuffisant, les trois principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007 ont partagé le projet d’un service civique plus structuré et qui ne serait pas, dans un premier temps au moins, obligatoire.
L’ambition était au moins d’un « service obligatoirement proposé », pour reprendre une expression alors employée et qui trouve son écho dans l’annonce d’un service universel faite il y a quelques semaines par le Président de la République.
Comme en 2005, c’est dans un climat de sidération de notre communauté nationale que ressurgit aujourd’hui ce débat. Une sidération d’un tout autre ordre, bien sûr, une sidération face à l’impensable.
Car l’assassinat froid et systématique de 17 personnes parce qu’elles incarnaient la liberté de penser, l’ordre républicain pour d’autres ou parce simplement qu’elles étaient juives et cela, 70 ans après la libération des camps nazis, c’était pour notre communauté républicaine, rien d’autre qu’impensable.
Bien sûr, il n’y a la place pour aucune sorte de généralisation entre ces trajectoires criminelles et terroristes et la crise du message républicain.
Parce qu’évidemment il ne saurait y avoir aucune justification sociale ou sociologique au parcours de mort de ces centaines de jeunes partis rejoindre en Iraq, au Yemen ou en Syrie des organisations terroristes et dont certains avaient, tout donnait à le penser, justement bénéficié de cette promesse républicaine.
Pour le dire simplement, le Service civique, comme toutes les formes d’engagement citoyen, ne sont pas des outils de la lutte contre les terroristes.
Mais si demain, nous réinstallons la République partout, si chacun, dans le monde rural comme dans les quartiers, peut très concrètement voir de nouveau s’incarner cette promesse, alors aucune propagande ne pourra plus se nourrir des déceptions, des replis et des discriminations.
Nous ne devons pas avoir seulement à l’esprit ceux qui s’excluent de notre communauté républicaine mais aussi ceux qui affirment les comprendre et ceux qui ne voient pas de raison pour participer aux moments de communion nationale.
Nous devons parler avec eux de leur ressenti. Mais pour y répondre, une chose est à mes yeux certaine : il faut à nouveau que les valeurs de la République s’incarnent, se vivent et non seulement se scandent.
Nos mots n’ont plus le droit de sonner creux ou faux.
Cette ambition c’est naturellement la vôtre, acteurs du Service civique, depuis 5 ans, avec un succès incontestable. Le Service civique, né dans un climat de large consensus politique en 2010, a accueilli depuis plus de 80 000 jeunes.
Chiffre encore modeste me direz-vous, au regard du nombre actuel de candidats potentiels.
Mais nous connaissons tous ici les difficultés pour qu’une telle structure puisse atteindre sa « vitesse de croisière » et nous avons tous à l’esprit également les contraintes financières qui ont pesé jusqu’à aujourd’hui sur l’Agence mais qui vous a permis quand même l’an dernier de proposer je crois, 23 000 nouveaux contrats.
Disons les choses clairement, le Service civique est victime de son succès, avec cinq demandes pour une mission proposée.
Avec l’initiative « La France s’engage », l’an dernier, et avec il y a quelques semaines, l’annonce que chaque jeune qui le souhaite pourra se voir offrir une mission, le Président de la République vous a tracé une feuille de route ambitieuse, et à laquelle vous ne répondrez pas que par des moyens supplémentaires.
Même si, et je sais que tes services, mon cher Patrick, y seront vigilants, que ces moyens supplémentaires seront bien sûr indispensables.
La réussite du Service civique ne se mesure pas seulement à cette aune du nombre de candidats.
C’est également le succès d’un message fort, en direction de la jeunesse et de la société toute entière, avec les neuf thématiques prioritaires définies.
Avec en premier lieu les missions qui se déroulent dans le champ de la solidarité en direction des plus fragiles, des personnes isolées, en insertion ou réinsertion, le Service civique a fait participer en 5 ans plus de 15 000 jeunes à la mise en œuvre de nos politiques sociales, et ainsi illustré très concrètement que la consolidation du lien social n’était pas la seule affaires des pouvoirs publics ou des professionnels, mais aussi celle des citoyens, dans une démarche d’engagement.
C’est ainsi que les volontés individuelles d’engagement trouvent à s’exprimer, grâce au rôle d’orientation et d’intermédiation de l’Agence et à la mobilisation de plus de
4 000 structures d’accueil, et qu’elles participent ainsi activement à la réalisation de politiques publiques.
Autrement dit, s’est mise en place une mécanique vertueuse qui permet de favoriser naturellement la mixité et la cohésion sociale.
Cette mixité, vous m’y savez ici toutes et tous particulièrement attaché.
Élu d’un territoire facilement stigmatisé, je sais combien le sentiment de relégation peut produire chez les habitants de conséquences négatives que la rélégation elle-même. Parce qu’aux plafonds de verre que notre société a engendrés s’ajoutent les plafonds qu’ils se créent eux-mêmes.
Et ce n’est pas par les mots que nous pouvons les détruire. Parce que nos mots, hélas, trop souvent ne portent plus. Nous devons leur montrer que rien ne leur interdit ni impossible au simple fait qu’ils sont nés dans ces territoires.
C’est pourquoi j’ai été particulièrement sensible aux derniers chiffres communiqués par l’Agence du Service civique sur le profil des jeunes engagés.
Il n’y a pas, au regard des statistiques, de sous-représentation des jeunes résidant dans les quartiers prioritaires.
Nous devons réfléchir à l’opportunité, à l’inverse, d’aller maintenant vers une pondération inverse, une légère sur-représentation.
Dans la mesure où cet outil d’intégration professionnelle et sociale fonctionne bien, dans la mesure où il permet aux jeunes, à l’issue de leur mission, d’avoir une image plus positive de leur environnement social et d’être ensuite plus actifs dans la recherche d’un emploi, dans la mesure où ces effets positifs sont d’autant plus marqués que les jeunes sont moins qualifiés et les moins favorisés, et que la mission a permis de leur offrir un cadre structurant, ne devons-nous pas renforcer la dimension « rattrapage » du Service civique ?
Mais en tout cas, dans l’immédiat, je me réjouis de voir que le Service civique n’est pas ou en tout cas n’est plus, contrairement à ce que certains laissent encore penser, un outil pour les jeunes socialement et scolairement les plus favorisés, bref un outil supplémentaire de reproduction sociale.
Car ce n’est pas à ceux qui le connaissent déjà que nous devons réserver l’opportunité de rencontrer le succès.
J’évoquais tout à l’heure le débat sur le caractère obligatoire que certains voudraient attribuer au Service civique.
Si un débat serein sur l’existence de temps obligatoires qui viendraient prolonger et densifier la journée défense et citoyenneté est souhaitable, je pense que nous devons éviter d’une part la nostalgie de l’âge d’or perdu, car comme je le soulignais, le service militaire n’était plus dans les années 90 ce qu’il avait été et aurait dû rester.
De plus, dans le cadre d’un service civil, inscrit dans le champ social et territorial, je m’interroge sur la compatibilité des notions d’engagement et d’obligation.
Autant il me paraît souhaitable que certains parcours de formation intègrent un temps citoyen, autant il me paraît évident qu’il faut renforcer de façon très visible et très concrète la reconnaissance des engagements volontaires en créant pour les élèves, les étudiants, les apprentis voire les salariés une « valorisation des acquis de l’engagement » sur le modèle de la VAE, autant je crains qu’un service civique obligatoire pour tous les jeunes à un âge donné soit vu comme comme quelque chose de désincarné dont la dimension contraignante pourrait être contre-productive.
Enfin, je ne saurais terminer mon propos sans saluer le mouvement associatif, sans lequel le Service civique n’aurait pu connaître le succès qui est le sien et sans lequel la nouvelle phase qui s’ouvre ne pourra se réaliser. Notre pays est en Europe, un des pays où la société civile a su le plus et le mieux se structurer, hors du seul champ caritatif, avec plus d’un million d’associations de tous ordres.
Ce monde associatif, que l’on nous dit souvent en crise, a ainsi pourtant répondu présent au défi du Service civique et je ne doute pas qu’il le fera encore dans les prochains mois.
Parce qu’au-delà de la solidarité, le sport, l’éducation populaire, l’environnement sont autant de champs par lesquels la citoyenneté et l’appartenance à la communauté républicaine apprennent à se vivre, sans grands discours, par l’évidence des actions réalisées, des liens tissés et des échanges noués.
Le Service civique est un magnifique outil pour redonner, par l’engagement citoyen, de la chair et donc du sens aux notions fondatrices de notre République, la liberté de s’affranchir de ses assignations sociales et territoriales, l’égalité réelle et la fraternité.
Je souhaite donc au Service civique et à ses acteurs un bel anniversaire et l’espoir que, pour ses 10 ans, nous pourrons de nouveau dresser un bilan réussi, celui de son ouverture universelle à tous ceux qui souhaitent s’y investir.
Je vous souhaite une matinée fructueuse.
Je vous remercie.