Voeux à la presse

Voeux à la presse de Claude Bartolone

Président de l’Assemblée nationale

Hôtel de Lassay

Jeudi 9 janvier 2014

Madame la présidente de l’Association des journalistes parlementaires, chère Sophie Huet,

Mesdames et Messieurs,                                                            

Au nom de l’Assemblée nationale, j’adresse à chacun de vous – et à travers vous, à tous nos compatriotes, en métropole et dans les Outre-Mer et à l’étranger – mes vœux de bonne année pour 2014.

Permettez-moi d’abord d’avoir une pensée pour les quatre de vos confrères encore détenus en otage, et plus largement pour tous les Français retenus contre leur gré.

Comment ne pas évoquer également la mémoire de Ghislaine Dupont, Claude Verlon, Olivier Voisin, tombés l’an passé, en faisant leur métier, de même que les 70 journalistes et photographes de toutes nationalités, morts en 2013.

La Représentation nationale rend hommage à celles et ceux qui mettent leur vie en danger au nom du droit de tous à l’information et à la compréhension.

 

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Bonne année à chacun d’entre vous, donc, mais aussi au collectif bigarré que vous représentez dans cette salle. Vous êtes la presse française d’aujourd’hui. Les uns et les autres, vous constituez une part de cette mosaïque indispensable à la bonne marche de notre démocratie.

Vous, journalistes, êtes finalement face à un grand défi.

A la fois, rester vous-mêmes : c’est-à-dire cette presse à la française qui travaille sans entrave et sans outrance. Une presse qui exerce librement, sans pression autre que celle de l’éthique. Une presse qui exerce dignement, sans succomber aux sirènes du sensationnel.

Et dans le même temps, tirer le meilleur du nouveau monde dans lequel vous êtes entrés : celui où s’entremêlent l’éternelle presse d’encre et de papier aux nouveaux médias numériques ; où se percutent le temps long de l’investigation et l’urgence de l’information en continu ; où s’entrechoquent la puissance de l’argumentation à la saillie du tweet.

A y regarder de près, ce défi, c’est précisément celui qui se pose à la France et à chacun des Français pour l’année qui s’ouvre et pour les suivantes. Quelle est notre place dans le nouveau monde ?

Je ne crois pas que notre pays et notre continent traversent simplement une crise. Ce n’est pas un soubresaut économique ou une convulsion sociale auxquels nous assistons : nous sommes entrés dans un nouveau monde.

Et d’une certaine manière, ce nouveau monde, il est déjà installé dans la société française.

Une société devenue mobile. Les Français changent d’employeur tous les 11 ans ; 1 Français sur 10 déménage chaque année. Une société qui ne cesse de voir son espérance de vie augmenter. Songez que nous avons ajouté une génération entière à nos familles depuis la Grande guerre. Une société où l’on a dorénavant des vies en pointillés. Dans les études, au travail, en amour… Une société où les familles se font, se défont et se refont.

Le nouveau monde, ce sont aussi ces petites révolutions dans nos façons de consommer les biens, les technologies, le savoir. C’est l’entrée dans l’ère de la connexion permanente, avec ces technologies que l'on porte sur soi. C’est l’essor de cette économie collaborative, celle des 4R : réduire, ré-utiliser, recycler, réparer. C’est le renouveau de la santé où la médecine d’anticipation rattrapera, d’ici 30 ans, la médecine de soins. C’est cette prévision incroyable : 65% des écoliers d'aujourd'hui pratiqueront en 2050, des métiers qui n'ont même pas encore été inventés…

Le nouveau monde, il est palpable enfin dans la tectonique des plaques continentales. Il est loin le temps du monde bipolaire structuré par un Mur. Loin aussi le temps où l’Oncle Sam pouvait se proclamer gendarme planétaire. Nous sommes entrés dans un monde organisé en puissances continentales. Et nous assistons, de la part de pays que l’on disait émergents, à une véritable revanche des pauvres.

 

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Le monde change, et cela appelle une réponse politique d’envergure.

Depuis le Front populaire, à chaque fois que les progressistes ont pu accéder au pouvoir, cela s’est inscrit dans un moment historique. Cela a correspondu à une mission historique.

En 1981, il s’agissait de démontrer que la Gauche était qualifiée pour l’alternance et l’exercice des responsabilités nationales.

En 1988, il fallait répondre à l’espérance d’une France unie.

En 1997, il fallait permettre à la France d’entrer dans l’euro tout en consolidant notre modèle social.

Ce quinquennat correspond à une nouvelle mission historique : permettre à la France d’entrer de plain-pied dans lenouveau monde. Et c’est précisément le vœu que je forme pour l’année 2014 et celles qui suivent.

J’admets que l’on puisse avoir du mal à concevoir cela lorsque l’on connait la morsure du chômage, lorsque l’on vit dans un quartier populaire ou une zone rurale déclassée, lorsque l’on peine à accéder au service public, lorsque l’on a le sentiment que les fins de mois commencent dès le 15 du mois…

J’admets tout autant que certains de nos compatriotes se disent qu’ils n’ont pas, et qu’ils n’auront jamais, leur place dans ce nouveau monde.

J’admets que l’accès de chacun à la réussite dans le nouveau monde passe d’abord par l’éducation, et qu’il nous faut commencer par faire sauter le verrou de la reproduction des élites qui mine notre société et bloque l’ascenseur social.

Eh bien, elle est justement là, notre responsabilité dans ce quinquennat. Renouer avec l’esprit de conquête pour permettre à chacun de trouver sa place dans le nouveau monde.

 

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L’esprit de conquête, c’est d’abord croire en nous-mêmes.

Je dois vous dire que je ne supporte plus les discours de lamentation et l’astrologie du grand désastre national.

Bon sang, la France, ce n’est pas rien !

Nous semblons l’oublier quelquefois, mais nous sommes un géant économique ! Le 5e au monde ! Nous sommes un géant agricole ! Le 1er d’Europe ! Nous sommes un géant maritime ! La 2e puissance planétaire juste après les Etats-Unis ! Nous sommes un géant intellectuel et scientifique, 4e pays du monde au classement des prix Nobel ! Nous sommes un géant culturel ! Rendez-vous compte que la culture en France génère 58 milliards d'euros, et représente 3,2% du PIB, presque autant que l'agriculture ou l'industrie alimentaire !

Et puis, vous en connaissez beaucoup, vous, des pays dotés de l’outil diplomatique et de l’instrument militaire permettant de répondre à l’appel au secours d’un pays ami ? D’empêcher des massacres de civils ? D’assurer la stabilité de l’Afrique ? De garantir la sécurité de l’Europe ?

Et permettez-moi de vous dire la fierté de l’Assemblée nationale pour nos soldats engagés en Centrafrique, au Mali, et présents partout ailleurs pour défendre une certaine idée de la France. Je salue la mémoire de nos 9 combattants tombés au Mali et en Centrafrique.

Alors, oui, nous pouvons être fiers de notre pays, de nos compatriotes, de notre modèle.

N’en déplaise à Newsweek et à son déversoir d’idioties, de fantasmes et de clichés. N’en déplaise aussi au Premier ministre britannique qui critiquait la France il y a quelques jours.

Mettons tout cela sur le compte de la solitude insulaire, et n’ayons pas la cruauté de rappeler à nos amis anglais que leur dette totale (publique et privée) représente 267,2 % de leur PIB, c’est-à-dire 37 points de plus que notre propre dette (230,8%).

Disons-le simplement : oui, il y a un modèle anglo-saxon, et non, ce n’est pas le nôtre. Nous ne sommes pas le pays duchacun pour soi et dieu pour tous!

Nous ne sommes pas le pays du marche ou crève ! Nous ne sommes pas le pays des mini-jobs et des services publics en lambeaux !

Nous sommes la France. Nous avons un modèle. Économique, social, environnemental, culturel, philosophique. Et nous n’entendons pas le bazarder.

C’est en quelque sorte cenouveau patriotismeque j’appelle de mes vœux en ce début d’année. Patriotisme. N’ayons jamais peur de ce mot. Il appartient à tous les Français. Notre patriotisme, il n’est pas idéologique. Il est optimiste et éclairé. C’est le patriotisme selon le Larousse, cet « attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir. »

Combattons toute notre vie le nationalisme qui mène au repli et à la haine. Mais ne laissons jamais le patriotisme à d’autres, et surtout pas à ceux qui donnent à voir aux Français l’image d’un pays ranci et moisi.

C’est grand, la France ! Disons-le ! Clamons-le en 2014 !

 

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L’esprit de conquête, Mesdames et Messieurs, c’est aussi faire le choix de ce que j’ai envie d’appelerla politique de génération.

La politique de génération, c’est décider que chaque choix, chaque geste, chaque arbitrage doit être guidé par une seule et unique question : est-ce que c’est bon pour la génération qui vient ?
Et d’ailleurs, ce n’est pas comme si nous avions le choix ! Ou plutôt si, nous avons le choix. Ou bien nous acceptons de nous faire « muséifier », de nous faire « empailler » par les pays émergents qui viendront nous visiter en mémoire du temps où… Ou bien nous offrons aux générations qui viennent, les moyens de continuer à jouer dans la cour des géants.

En France, Mesdames et Messieurs, on sait faire des enfants ! Et l’on n’imagine pas combien nos voisins européens nous envient cette jeunesse qui compose les bataillons de cerveaux et de bras de la France de demain.

Alors, cette jeunesse, plus que jamais, elle ne doit pas être simplement dans notre projet : elle doit être notre projet. La politique de génération, c’est apporter des réponses à quelques grandes questions. Le reste, la gestion, ce ne sont finalement que des outils au service de cette ambition.

Quel niveau de vie pour les générations qui viennent ?

Pas de prospérité partagée sans compétitivité retrouvée : il faut aller à la conquête d’une nouvelle compétitivité. Pas comme une fin en soi. Pas par passion de la performance ou par goût du chiffre – et vous savez bien que je ne suis pas un amoureux des pourcentages. Simplement par attachement à notre souveraineté nationale et pour obtenir des résultats durables dans la lutte contre le chômage, véritable cancer de notre société.

Nos compatriotes, quoi qu’on en dise, consentent à l’effort collectif. Mais pas par esthétisme budgétaire. Ils consentent à l’effort pour remettre le pays sur les rails de l’avenir, pour léguer à leurs enfants autre chose que l’héritage de leurs propres difficultés.

Il y a une place pour l’économie française dans le monde dès lors que nous savons faire les bons choix et mettre à jour notre appareil productif. Et ces choix-là, nous les faisons.

Celui du soutien à l’entreprise. Nous le savons, la France ne sera jamais le pays du low cost et de la grande braderie de son modèle social. Investissons dans la montée en gamme de notre production, dans l’excellence, dans la recherche, dans la formation… Cultivons l’esprit d’entreprise, le goût du risque, le droit à la seconde chance, sans lesquels nulle conquête n’est possible. Donnons envie aux jeunes talents, mais aussi aux très petites, petites et moyennes entreprises d’oser, de tenter, de risquer. Luttons sans relâche contre toute tentation de délocalisation des centres de décision de nos fleurons industriels.

L’Entreprise, ce n’est pas la rente. L’Entreprise, c’est un bien commun qu’il nous faut protéger. Pour cela, nous avons besoin de l’union sacrée, et je salue la démarche du président de la République en ce sens.

Ce dont il est question, c’est de défendre les intérêts vitaux du pays. C’est d’en finir avec cette idée folle selon laquelle il faudrait choisir son camp entre la chose économique et la chose sociale. Comme si l’une ne dépendait pas de l’autre !
C’est de mettre en place, non pas une politique de l’offre ou une politique de la demande – cela n’a plus aucun sens dans le nouveau monde – mais une politique de croissance contre l’austérité de la souffrance.

Oui, la politique menée, elle n’est ni d’offre ni de demande : elle est de croissance pour le progrès social.

Deuxième question, quelle planète pour les générations qui viennent ?

Je le redis, on peut vivre avec 4% de déficit, pas avec 4 degrés de plus. Nous sommes dépositaires de la transition écologique, d’une nouvelle façon de consommer, de comportements animés par ledevoird’achat et lesavoird’achat.

Dépositaires aussi d’une certaine philosophie. La transition énergétique, ce n’est pas subordonner la question sociale à la question écologique. Ce n’est pas l’inverse non plus. C’est faire en sorte que l’une se nourrisse de l’autre. Parce que le combat écologique, c’est d’abord un combat au nom des humbles – qui sont précisément les premières victimes des inégalités énergétiques.

Des débats peuvent exister sur le chemin à emprunter, voire même sur la durée du voyage. Mais nous devons avoir en partage la destination à rejoindre : une société plus sobre, plus responsable, plus durable.

Troisième question, quelle Europe pour les générations qui viennent ?

Nous le savons bien, la France seule ne pourra rien. A l’heure où les puissances économiques s’organisent à l’échelle continentale, il y a plus que jamais urgence européenne. Ce que nous devons à nos enfants, c’est une France qui progresse dans une Europe qui protège.

Alors, il y a une confrontation à mener. Il y a un compromis à forger. Il y a des petits pas à engranger.

Avec la grande coalition allemande, nous avons désormais plus de 3 ans de stabilité politique et institutionnelle de part et d’autre du Rhin. Sachons les mettre à profit pour faire redémarrer le moteur franco-allemand et défendre notre vision d’un continent de croissance, de défense et de progrès.

Dernière question, quelles valeurs pour les générations qui viennent ?

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette question s’est largement invitée dans l’actualité de ces dernières semaines.

La France est la France parce qu’elle aspire à fondre dans le moule républicain des gens venant de tous les horizons. C’est cela, le miracle français, le prodige laïque, le pacte républicain. Et rien n’est plus précieux.

Alors, ne tergiversons pas. Le racisme n’a pas sa place dans notre pays. Pas plus que l’antisémitisme. Pas plus que les discriminations.

Quand la République est mise en cause dans ses fondamentaux, on n’a pas à réinventer l’eau tiède. La seule réponse possible, c’est la République, toute la République, rien que la République.

Quand un Français touche à un cheveu d’un autre Français parce qu’il est Juif, musulman, chrétien ou athée, quand on insulte notre mémoire et notre histoire, quand on incite à la haine et à la violence, alors la sentence républicaine doit tomber tel un couperet. C’est cela, la France.

C’est aussi prendre soin les uns des autres. Les valeurs de la République, ce n’est pas une incantation ou un sujet de colloque. C’est d’abord un état d’esprit, au nom duquel, nul ne peut être laissé au bord du chemin.

C’est refuser que l’on se contente de vivre les uns à côté des autres sans se connaitre ni se reconnaitre. C’est vivre ensemble, quelles que soient nos origines, nos croyances, notre couleur de peau ou le côté du périphérique duquel on nait. C’est cela, la République du quotidien.

 

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Mesdames et Messieurs, j’en termine.

Cela n’a échappé à personne, cette année n’est pas tout à fait comme les autres. Elle convoque la mémoire.

Nous célèbrerons bientôt le cinquantenaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine. Je conduirai d’ailleurs, à cette occasion, une délégation de l’Assemblée nationale, à Pékin, à la fin du mois de janvier.

Nous commémorerons aussi à la fois le centenaire de la Grande guerre et le 70e anniversaire du débarquement.

Nous rendrons hommage à nos Anciens…

Eux, ont fait une politique de génération…

Ils ont fait le sacrifice de leur jeunesse – et pour beaucoup, de leur vie – au nom de la liberté de toutes les générations qui ont suivi.

En 2014, le monde n’est plus tout à fait le même, je vous l’accorde. Le legs à transmettre est bien moins exigeant, je l’admets. Mais le mouvement est semblable : nous sommes en train d’écrire la suite de notre histoire.

Et il est là, le vœu que je forme pour 2014 : un vœu d’optimisme, un vœu de confiance, un vœu d’enthousiasme, un vœu d’énergie, pour écrire la suite de notre récit républicain, à l’encre de la solidarité et de l’esprit de conquête.

L’Assemblée nationale, cœur battant de la démocratie, jouera tout son rôle.

Nous avons des raisons de croire en 2014.

Bonne et heureuse année à vous tous.